Il fait beau
Il ne vous aura pas échappé, à moins que vous ne soyez associaux (ce qui prouve votre présence dans ces lieux) et donc rétifs au monde extérieur, qu'il fait beau. Chouette ! diront les gens normaux. Voici revenu le temps des cafés en terrasse, des lunettes de soleil qui permettent de cacher le regard graveleux de l'homme à l'affût de la moindre mini-jupe. Finis les gants en laine, les pieds froids la nuit, les trois épaisseurs de tee-shirts qui vous faisaient passer pour le bonhomme Michelin. Oui, il fait beau.
Et je déprime.
Dans les codes, ce n'est pas accepté de déprimer lors du retour des beaux jours. On se doit d'être béat, de sourire en regardant les oiseaux batifoler, de marcher un peu plus lentement, parce qu'il fait beau, alors autant en profiter. Mais c'est plus fort que moi, je refuse, et je me retrouve à dormir avec mon écharpe dans les bras parce que je ne veux pas encore la quitter.
Il fait beau, et je suis partie pour six mois de déprime. Six mois où, chaque jour, je ne vais pas pouvoir m'empêcher de regarder chaque fille dans la rue, pour me comparer, et ensuite déprimer. Logique. Les filles ont déjà sorti les jupes courtes, les décolletés et les coiffures qui ressemblent à quelque chose. Les filles sont belles, et ça me donne l'impression de ne pas en être une, de fille. Un intrus parmi les poupées (parfois en plastique), une mauvaise herbe parmi les fleurs (parfois artificielles). Je devrais positiver, me dire que je vais avoir la chance de ne pas me faire accoster par des individus louches ! Las, il en reste toujours avec des goûts douteux, ce qui me donne une image encore plus négative de ma tendre personne. Je déteste cette période où ressortent les complexes, où je cache mon maillot de bain en faisant croire que je l'ai perdu. Même pour un million de dollars, je ne me mettrais pas en maillot (quoique, je veux bien réfléchir un peu). Je me retrouve là, au milieu de filles à ventre plat et yeux brillants (comme les chiens : c'est un signe de bonne santé) et je me demande comment elles font, toutes. A quelle heure elles se lèvent, pour avoir l'air, dès le matin, d'être fraîches comme des roses, cheveux domptés et maquillage impeccable, et une énergie qui paraît indépassable. A 14h, j'ai encore ma crinière de mouillée, je ne sais toujours pas comment m'habiller, et je baille rien qu'à l'idée de lever mon bras pour distiller un peu de fard sur mes paupières. Tout va bien, il fait beau. Les filles sentent bon et ont des rires qui font croire que la vie est belle. Peut-être, après tout. Peut-être qu'il me suffirait de m'inscrire à un stage, tel que "Stage de beauté - vos voeux sont exaucés", où j'apprendrais les rudimentaires féminins en huit jours complets, ce qui me permettrait ensuite de me pavaner dans les rues ensoleillées, avec des tenues que je n'imagine même pas encore. Ou peut-être que ce genre de stage est encore trop cher pour moi, et que je vais me retrouver alors obligée d'être moi, rien que moi.
En attendant, c'est parti pour six mois de frustation, tiens d'ailleurs je commence un régime. Et un blog. Bienvenue, au fait.