Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
N.u.l.l.e.
25 août 2007

"Mais des souvenirs, tout le monde en a."

Mrs Dalloway
de Virginia Woolf (1925)
traduit de l'anglais par Marie-Claire Pasquier

Virginia Woolf
(Portrait de Virginia Woolf, par sa sœur Vanessa Bell)

"Elle avait, en regardant passer les taxis, le sentiment d'être loin, loin, quelque part en mer, toute seule; elle avait perpétuellement le sentiment qu'il était très, très dangereux de vivre, ne fût-ce qu'un seul jour."

Voilà, il est venu le temps de découvrir Virginia Woolf, parce qu'il n'est pas raisonnable de rester trop longtemps dans l'ignorance. Il me fallait rencontrer ce style, cette sensibilité, cette littérature... cette femme. Ce n'est qu'un premier pas, mais enfin, il faut bien commencer quelque part !

Clarissa Dalloway a dû se dire la même chose : il faut commencer quelque part, et pour elle, ça démarre avec ces fleurs qu'elle doit aller chercher pour la grande soirée qu'elle organise. On met des gants, un chapeau qui paraît subitement mal assorti une fois qu'on est dans la rue, on marche, dérive, pense. On est à Londres, quelques années après la Première Guerre Mondiale. Cette réception (à préparer pour Mrs Dalloway, à ne pas oublier pour les invités) n'est finalement qu'un prétexte pour donner libre cours aux pensées et ressentis d'un certain nombre de personnes, gravitant autour de la figure centrale.
Je m'enfonce toute seule, là, car comme le dit si justement Céline dans sa critique
, résumer ce livre le ferait passer pour un "bouquin ultra chiant sans histoire et bavard"; ce qui serait bien dommage, parce que c'est une merveille.
Ce que j'ai ressenti en premier (et pendant toute la lecture), ce sont les vagues. Peut-être que je me suis laissée influencer par ce titre d'un autre texte de Virginia Woolf, c'est fort probable; mais les vagues sont bien là, on est porté par les pensées de ces gens perdus et comme ce phénomène maritime, leurs réflexions se déchaînent parfois, elles avancent, se retirent, s'éloignent et reviennent, comme un refrain auquel on se raccroche...
Et mine de rien, les Anglais ont des pensées profondes. Ils pensent à leur vie qui aurait pu être si différente, ils pensent à l'amour, à la maladie, à la peur... Au fil des heures (marquées par Big Ben), les personnages se dévoilent. Clarissa Dalloway, bien sûr, mais aussi Peter Walsh son amour de jeunesse qui revient des Indes, ainsi qu'un homme inconnu d'eux, Septimus, qui sombre dans la folie, ne se pardonnant pas la mort de son meilleur ami à la guerre... On suit bien plus de personnages que cela mais ceux que j'ai cités me semblent être les trois piliers du roman, vers qui tout converge.
Les phrases de Virginia Woolf peuvent être longues, sinueuses; mais elles sont avant tout musicales, sensibles, entraînantes. Oui, la sensibilité qui transparaît dans l'écriture et dans les thèmes abordés a été une vraie surprise; je ne suis pas une fine connaisseuse de la vie de l'auteur, mais j'en sais malgré tout les grandes lignes et on voit, indéniablement, qu'elle met beaucoup d'elle dans Mrs Dalloway. Au détour d'une page, il y a une phrase, une idée, qui s'approche plus de la vérité que du roman; quelque chose de sincère, et d'émouvant dans cette sincérité. On peut aussi faire le rapprochement entre le personnage de Septimus et Virginia... tous les deux fragiles psychologiquement, tous les deux plus conscients que la moyenne. Tous les deux en souffrance...
La profondeur du roman en fait un texte remarquable, poétique et vibrant.

Voilà, j'ai découvert Virginia Woolf; c'était un de mes objectifs depuis quelques années. Dès qu'il fallait prendre des résolutions, je pensais "lire V. Woolf" et je ne le faisais jamais. Maintenant que le premier pas a été franchi, ça me laisse une drôle de sensation. Un genre de "j'en suis ici. Que faire maintenant ?". Continuer à découvrir de grands auteurs qui me sont encore inconnus, pour encore ressentir cette fausse impression d'avancer alors qu'il n'en est rien ? J'ai lu Virginia Woolf et j'ai perdu l'attente, l'ignorance. Je n'aime pas cette étrange sensation de perte - mais cela passera.

"Car elle en était venue à penser que c'étaient les seules choses qui méritaient d'être dites - les choses qu'on ressentait. Être brillant n'avait aucun intérêt. On devait dire tout simplement ce qu'on ressentait.
« Mais moi je ne sais pas, dit Peter Walsh, ce que je ressens. »"

Mrs Dalloway est un livre qui se lit autant qu'il se ressent, c'est une échappée virtuose sur nos sentiers intérieurs, c'est une délicate tristesse dont on ne ressort pas indemne...


Bonus
Le Fou visionnaire de Virginia Woolf : un article où il est question de Septimus, Clarissa Dalloway et Virginia Woolf.

Publicité
Commentaires
E
Oh, oui ! Elle est bouleversante, réellement. Cette femme perdue... La littérature sait se rendre essentielle, indispensable. Toujours émouvant.
F
Le personnage joué par J. Moore est exceptionnel, et dit bien à quel point la littérature peut bouleverser une vie.
E
Tu as des goûts merveilleux, Fantômette ! Je te fais confiance, pour "La promenade au phare", je suivrai ton conseil (j'ai déjà "Orlando" en ma possession). <br /> Je suis désolée, je ne sais pas trop comment répondre à tes commentaires, si ce n'est en disant "Bien sûr, je pense tout pareil"...<br /> J'ai finalement abandonné l'idée de lire "Les heures", mais j'ai osé voir le film, qui m'a beaucoup touchée (et encore, je suis pudique en disant ça). Les actrices y sont exceptionnelles.
F
"Mrs Dalloway" était mon premier Woolf. Plus qu'un choc, un tsunami : un tremblement de terre profond dont les conséquences sont le déferlement que l'on sait. "La promenade au phare" rivalise assez bien.<br /> Mais pour Wollf, c'est un peu comme pour Murakami quoique différemment (comment ça, je ne suis pas claire ?). Ici aussi il faut s'abandonner, ne pas attendre l'histoire et à partir de là, tout devient possible. <br /> Par ailleurs, comment ne pas être éblouie par la femme et l'écrivain (je hais le terme d'"écrivaine", je le hais) que fut Virginia WOOLF ? <br /> Quant aux "Heures", indubitablement le film est meilleur que le roman.
E
Mais personne n'a dit que tu n'aimais pas tout le monde ! :-)<br /> C'est vrai que l'écriture et l'ambiance chez V.Woolf sont assez spéciaux, c'est évident que ça ne peut pas faire l'unanimité... <br /> ... nous deux, on s'en fout, on aime !! ;-)
Derniers commentaires
Publicité
Publicité