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N.u.l.l.e.
29 août 2007

La Saga de l'été ! *

pullmanÀ la croisée des mondes
trilogie de Philip Pullman
traduite par Jean Esch

1. Les Royaumes du Nord (1995)
2. La Tour des Anges (1997)
3. Le Miroir d'Ambre (2002)


(ce billet est dédié à Holly G., à qui je dois tant... à commencer par la trilogie en elle-même ! Les rares références culturelles qui vont suivre me viennent d'elle)

La preuve de suite : Philip Pullman tient le titre originale de sa trilogie, His Dark Materials, de John Milton et de son Paradis perdu : « ...Unless the Almighty maker them ordain
His dark materials to create more worlds. »

(traduction : « ... À moins que le tout-puissant Créateur n'arrange ses noirs matériaux pour former de nouveaux mondes. »)

Il ne sera pas question, ici, d'une véritable critique, tout d'abord parce que je ne veux gâcher le plaisir de lecture à personne et si j'osais seulement parler du début du troisième tome, ce serait déjà évoquer trop de choses pour celui qui ne connaît pas, et voudrait découvrir; ensuite parce que cette trilogie, bien que destinée à un public jeune, fourmille de références culturelles et cette culture-là, justement, je ne l'ai pas. Je lis, simplement, sans saisir les inspirations de l'auteur, sans saisir les apports littéraires, philosophiques, religieux...

De fait, je vais me contenter de poser les prémices de l'histoire. Tous les enfants, un jour ou l'autre, s'amusent à enfreindre certaines règles décidées par les adultes; c'est un jeu auquel Lyra excelle. Ayant grandi dans un Collège d'Oxford, dans un monde sensiblement différent du nôtre, elle sait que certaines pièces lui sont interdites, comme ce Salon où se réunissent quelques érudits et personnages haut placés. Alors, forcément, quand elle se cache dans cet endroit et découvre des choses qu'elle aurait dû ignorer, la curiosité prend le dessus... d'autant plus que son meilleur ami Roger, comme des dizaines d'autres enfants, est mystérieusement enlevé. Des rumeurs courent, toutes plus affolantes les unes que les autres - les kidnappeurs seraient des Enfourneurs qui se nourrissent de leurs victimes... à moins que les innocents soient embarqués dans les terres glacées du Nord, où ils seraient soumis à des expériences ? Mais pourquoi ? Et quelle est cette étrange Poussière qui affole les adultes au point qu'ils veulent la combattre ? Ainsi, voilà la jeune Lyra embarquée dans une aventure où elle jouera un rôle bien plus important qu'elle ne le croit...

Comme tout enfant partant vers l'inconnu, Lyra obtient l'aide de nombreuses personnes (notamment des gitans - voyez comme je ne m'avance pas dans l'intrigue en évoquant d'autres soutiens), mais elle est aussi accompagnée de son dæmon, et conseillée par un aléthiomètre. Des explications s'imposent : dans le monde où vit Lyra, chaque personne possède un dæmon (à prononcer démon), qui prend la forme d'un animal (doté du langage), et qui représente plus ou moins l'âme de la personne, sa part instinctive. Bien que distinct de l'homme, le dæmon meurt en même temps que lui. Quant à l'aléthiomètre, c'est un superbe instrument, de la forme d'une boussole, ornée de trente-six symboles et de quatre aiguilles, qui a pour ambition de dire la vérité: l'utilisateur pense à une question (par exemple, où dois-je aller ? est-ce que Roger est vivant ?) et l'aléthiomètre répond en déplaçant ses aiguilles. Seul un grand savant, qui aurait étudié toute sa vie, pourrait déchiffrer le résultat; mais Lyra n'est pas une jeune fille comme les autres, elle a par conséquent le don de comprendre sans jamais avoir étudié dans ce domaine.
Je peux difficilement en dire moins !
L'intrigue se noue autour de plusieurs points mystérieux (les réponses venant au fil des tomes), et Lyra se retrouve face, ou plutôt contre un monde d'adultes où les individus ont des aspirations différentes. Je ne peux pas ne pas citer Lord Asriel, son oncle, qui part curieusement en expédition dans le Nord (tiens, là où sont envoyés les enfants ?) et Marisa Coulter, une superbe femme aussi rusée et ambiguë que son dæmon de singe. Accompagneront-ils Lyra dans son désir de paix, sont-ils seulement en accord tous les deux, ou nourrissent-ils des ambitions néfastes ? Je vous rassure, Philip Pullman répond à tout ça (et à bien plus).

L'auteur, justement, est ambitieux. Un seul monde ne lui suffisant pas, il étend l'intrigue dans divers mondes (ce n'est pas une révélation de dire ça, étant donné le titre français de la trilogie). Et parce qu'on se lasse vite du monde terrestre, il s'intéresse aux Cieux. Aux vrais, aux grands, bref : à la religion. À la Croisée des Mondes n'a pas de limite; c'est une fenêtre ouverte sur l'infini. Philip Pullman s'interroge sur des institutions religieuses que nous suivons depuis qu'elles existent, il cherche à connaître ce qui a été considéré comme mauvais et se demande si ça l'est vraiment, il montre que d'autres chemins sont possibles et que la vérité n'est peut-être pas dans ce qu'on nous a enseignés. J'espère que cette dernière phrase est assez obscure pour être totalement incompréhensible, c'était mon but.
Une trilogie de ce genre, c'est-à-dire aussi riche d'enseignements, qu'ils soient philosophiques, littéraires, bibliques, psychologiques, ne peut pas être considérée comme une simple "trilogie de fantasy pour enfants". Il y a un tel foisonnement d'idées, une telle abondance de références (Platon, John Milton, William Blake, Kleist et j'en passe) que c'est une œuvre à lire, mais surtout à relire - avec, pourquoi pas, l'éclairage de ces sources d'inspiration (j'espère bien, moi-même, quand j'aurai enfin lu deux-trois choses et les auteurs sus-mentionnés, me replonger dans cette trilogie et en goûter sa nouvelle saveur). Mais ces références ne doivent pas effrayer, ni même dissuader de lire; au contraire, À la Croisée des Mondes est captivant, dense, dépaysant et surtout compréhensible, même quand on ignore toutes les sources de l'auteur. En somme, c'est une œuvre érudite mais abordable qui ne devrait pas être confinée au rayon jeunesse. Petit plus esthétique : chaque chapitre s'ouvre sur un petit dessin de Pullman, le dessin ayant bien sûr un lien avec le contenu du chapitre... Le troisième tome, lui, offre de surcroît une (superbe) citation poétique à chaque début de chapitre.
Alors, pourquoi bouder son plaisir ? Pourquoi ne pas s'échapper avec Lyra et Pantalaimon (son dæmon), voyager, frémir de peur avec eux, sourire quand ils trouvent un peu de répit ? Les personnages portent tous en eux une certaine lueur - on est évidemment en confiance avec l'héroïne, on se sent protégé dès que Iorek Byrnison apparaît (j'oublie volontairement de préciser qui il est), on s'attache à Will (qui donc ?) et on admire son courage, on frissonne devant certains... je n'ai personnellement jamais été à l'aise avec Mme Coulter - plus qu'elle, c'était son singe qui m'effrayait... Lyra, elle, est une héroïne humaine et attachante; elle a douze ans au début de l'aventure et parce qu'elle est parfois dépassée par les événements, elle s'affaiblit et pleure. Vous avez déjà vu une héroïne avoir peur et laisser échapper quelques larmes ? (parallèle ridicule : je connais un petit sorcier qui n'a pas cillé, à onze ans, quand il a rencontré son ennemi le plus redoutable. Comment un enfant peut-il tenir le choc ? Lyra me paraît plus "humaine").

Si vous n'avez pas peur de la provocation, ni même de vous lancer dans une œuvre que vous ne pourrez plus fermer une fois que vous aurez lu les premières pages, si vous aimez réfléchir et vous passionner pour des personnages que vous imaginez réels, À la Croisée des Mondes est incontournable. Que l'œuvre soit considérée comme une trilogie de fantasy, un roman d'apprentissage, une réécriture biblique sur certains points ou "juste" comme un conte, cela ne change rien; elle reste la même : une flamboyante réussite.

« Cela ne faisait aucun doute : le lent courant aussi vaste que le ciel était devenu un torrent. Il n'y avait rien à entendre, rien à sentir et, sans sa longue-vue, rien à voir, et même lorsqu'elle décolla l'instrument de son oeil, la sensation de ce déluge silencieux demeura vivace, accompagnée d'un sentiment qu'elle n'avait pas remarqué, tant elle était terrorisée de se retrouver ainsi hors de son corps : un regret profond et impuissant qui flottait dans l'air.
Les particules d'Ombre savaient ce qui se passait, et elles étaient tristes. »


Et parce qu'on n'est rien sans quelques repères, en voici :
- Cittàgazze, site mais aussi (surtout ?) forum où il est question d'À la Croisée des Mondes, de Pullman et de ses autres textes
- ici et : une superbe interview de l'auteur, traduite par l'inestimable Holly
- L'avis d'Esis sur la trilogie 

* pour en savoir plus sur cette "saga de l'été", c'est chez Fashion, par ici et par là !

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Commentaires
E
Oh, tu es adorable, Esis ! Merci beaucoup.<br /> Pour l'extrait, si si, c'était une superbe maladresse, il valait mieux changer ça ! :-)
E
Eh bien, sublime résumé ! Tu retranscrit très bien toute la beauté de cette oeuvre ! Encore une fois, grâce à ton très bon style d'écriture !<br /> <br /> Quant à l'extrait, je ne voyais aucun mal à ce que tu mettes le même que moi même si c'est vrai qu'il était plus convenable que tu en mettes un différent, afin de donner encore plus envie aux futurs lecteurs ;-).<br /> <br /> Voilà !<br /> <br /> À la prochaine !
E
Merci beaucoup, Pascal... <br /> De toute façon, c'est une oeuvre qui mérite d'être relue, non ? Je suis sûre que tu te retourneras vers elle un jour ou l'autre. :-)
P
Superbe commentaire ! J'envie celles et ceux qui grâce à toi vont découvrir cette magnifique trilogie. Pour un peu je m'y replongerais avec délices.
E
Oui enfin, Harry Potter n'est pas encore fini pour tout le monde ! ;-)<br /> Mais sinon, oui, je te conseille cette trilogie, je pense vraiment que ça pourrait te plaire !
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