Derrière les barreaux
J'adore les associations d'idées; au départ devait paraître aujourd'hui un article qui ne viendra finalement que la semaine prochaine mais, alors que j'y réfléchissais, mes pensées ont continué à remonter le fil invisible de mes idées, pour finalement me conduire jusqu'à Rainer Maria Rilke.
D'abord, on ne se moque pas de ses prénoms, il n'y est pour rien. Ensuite, il faut me croire quand je clame ma passion pour ce poète autrichien (1875-1926). Je l'ai connu grâce au poème qui suit; c'était en cours d'allemand, on l'a étudié, décortiqué, appris par cœur. C'était à la fois simple et beau. Je pourrais dire qu'ensuite, les Lettres à un jeune poète ont eu un fort retentissement dans ma vie; ça en fait une œuvre particulière pour moi, une œuvre presqu'essentielle. Mais gardons ça pour une autre fois...
Je ne résiste pas à l'envie de vous mettre la version allemande, puis la traduction.
Der Panther
Im Jardin des Plantes, Paris
Sein Blick ist vom Vorübergehn der Stäbe
so müd geworden, dass er nichts mehr hält.
Ihm ist, als ob es tausend Stäbe gäbe
und hinter tausend Stäben keine Welt.
Der weiche Gang geschmeidig starker Schritte,
der sich im allerkleinsten Kreise dreht,
ist wie ein Tanz von Kraft um eine Mitte,
in der betäubt ein großer Wille steht.
Nur manchmal schiebt der Vorhang der Pupille
sich lautlos auf -. Dann geht ein Bild hinein,
geht durch der Glieder angespannte Stille -
und hört im Herzen auf zu sein.
Rainer Maria Rilke, novembre 1902
La Panthère
Jardin des Plantes, Paris
Son regard du retour éternel des barreaux
s’est tellement lassé qu’il ne saisit plus rien.
Il ne lui semble voir que barreaux par milliers
et derrière mille barreaux, plus de monde.
La molle marche des pas flexibles et forts
qui tourne dans le cercle le plus exigu
paraît une danse de force autour d’un centre
où dort dans la torpeur un immense vouloir.
Quelquefois seulement le rideau des pupilles
sans bruit se lève. Alors une image y pénètre,
court à travers le silence tendu des membres -
et dans le cœur cesse d’être.