A eux de nous faire préférer le train
Orient-Express
de Graham Greene (1932)
traduit par Denise Clairouin
Le postulat de départ est assez simple : le temps d'un trajet dans l'Orient-Express (qui part ici de Londres et arrive à Constantinople), G. Greene s'attache au destin de quelques personnages, qui sont amenés à se côtoyer bien qu'ils viennent de différents milieux sociaux. C'est ainsi que le lecteur fait la connaissance de Myatt, un commerçant juif spécialisé dans le raisin sec et qui voyage pour affaires, Coral Musker, danseuse de revue qui part trouver un nouvel emploi, un clergyman, un écrivain au succès foudroyant, un couple (dont le mari apprécie énormément le charme de la jeune Coral), sans oublier le docteur John (dont ce n'est pas la véritable identité) et un couple de femmes (l'une d'elle est une journaliste totalement alcoolique). Tout ce beau monde cohabite, se querelle, se rapproche, pendant un voyage qui va changer la vie de beaucoup d'entre eux.
Je disais donc que l'idée de faire agir quelques personnages dans un lieu fermé n'est certes pas originale, mais c'est une thématique qui me plaît beaucoup, car elle permet toujours de mettre à nu les véritables identités de chacun, de soulever des conflits et d'observer ainsi une tranche de la population. En cela, le romancier a bien travaillé : les personnages venant de milieux très différents, on assiste à une belle peinture des mœurs de l'époque, avec notamment le Juif qui veut toujours dépenser plus pour qu'on le respecte, un rebelle communiste qui souhaite libérer son pays (la Serbie), la petite naïve qui croit que sa situation précaire n'est que passagère et qu'elle va vivre le grand amour, la journaliste minable qu'on n'envoie que sur des petits sujets, etc... Tous ces caractères posent une ambiance électrique dans le train, ce qui va évidemment avoir des répercussions sur le voyage...
Chaque partie du livre correspond à une ville où l'Orient-Express s'arrête, ce qui est aussi l'occasion de descendre virtuellement du train, et de s'intéresser à ce qui se passe dans les gares et leurs environs. Certains personnages descendent, d'autres montent. Il y a parfois des complications, des malentendus - mais le train arrivera bien à destination, offrant d'ailleurs une dernière partie où l'on suit dans Constantinople les derniers passagers.
La thématique initiale me plaisant, je partais avec un bon a priori; seulement, le roman souffre de quelques longueurs, les questionnements des personnages étant trop ressassés et le tout manque parfois d'action. Dommage de ressentir de l'ennui avec un livre qui n'est pas si long que ça (250 pages), mais certains chapitres sont vraiment laborieux. Toutefois, les quarante dernières pages m'ont semblé apporter un souffle nouveau, ce qui m'a permis de terminer ma lecture avec plaisir.
J'éprouve donc un sentiment mitigé, je relirai probablement Graham Greene dans ma vie, mais pas tout de suite...
"Je suis en vie, se disait-il, car j'ai conscience de la mort comme d'une possibilité dans un proche futur; j'en ai une quasi-certitude, ils ne peuvent guère me laisser échapper cette fois, même si je me défends, moi et les autres, avec l'éloquence d'un ange." Des visages qui lui étaient familiers se levèrent à son passage, mais ils ne l'arrachèrent pas à sa méditation. "J'ai peur, se disait-il, triomphant, j'ai peur !".