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N.u.l.l.e.
5 novembre 2007

Un petit extrait

Mise en contexte : Santa, une amie de Mme Reilly, veut lui proposer un homme qui pourrait rendre son quotidien un peu moins morne. Santa s'éclipse pour les laisser discuter ensemble, or Mme Reilly est déjà légèrement imbibé...

"- Vous voulez de bonnes petites chips ? finit par demander Mme Reilly [...]
- Mais oui, volontiers.
- Elles sont dans l'sac, là, tout près de vous.
Mme Reilly observa M. Robichaux qui ouvrait le paquet de cellophane. Son visage et son complet de gabardine grise semblaient l'un et l'autre sortir de chez le teinturier.
"P'têt' qui faudrait qu'j'aille aider Santa. P'têt' qu'elle est tombée.
- Mais elle vient juste de sortir. Elle va revenir.
- Ces sols sont dangereux, fit remarquer Mme Reilly en s'absorbant dans une intense contemplation du linoléum brillant. On risque de glisser et de s'ouvrir la tête.
- Ah, c'est qu'il faut faire attention, dans la vie.
- Oh, la la. Vous l'avez dit. Moi, je fais toujours bien attention.
- Moi aussi. Croyez-moi, la prudence paie.
- Oh, pour ça, oui ! C'est exactement ce qu'Ignatius disait pas pu tard qu'hier, mentit Mme Reilly. Y'm'disait comme ça : "Dis maman, la prudence paie, tout d'même, tu crois pas ?" Et comment ! que j'y ai répondu. Sois donc prudent, fiston.
- C'est un bon conseil.
- Bah j'en donne tout l'temps à Ignatius, des conseils. Vous voyez ? Pour l'aider, quoi, toujours.
- Je parierais que vous êtes une bonne mère. Je vous ai vue avec ce garçon au centre ville des tas d'fois, et toujours j'ai pensé que c'était vraiment un gros garçon qui avait beaucoup d'allure. Y tranche sur les autres, vous voyez ?
- Je fais tout c'que j'peux avec lui. Sois prudent, fiston, va pas glisser et te casser la tête, ou un bras.
Mme Reilly suçota un moment ses glaçons.
"Je lui ai vraiment appris la sécurité. Ca, il m'en est reconnaissant.
- Oh, mais il peut, croyez-moi !
- J'ui dis à Ignatius, j'ui dis fais bien attention en traversant, fiston.
- Oh, ça, faut faire attention à la circulation, Irene. Vous permettez que je vous appelle par votre prénom, pas vrai ?
- Oh, mais si vous voulez, si vous plaît.
- C'est un joli prénom, Irene.
- Vous trouvez ? Ignatius dit qu'il aime pas ça.
Mme Reilly se signa et vida son verre.
"Oh, ma vie est pas rose, m'sieur Robichaux. J'ai pas peur de vous l'dire, mon pauv' monsieur.
- Appelez-moi Claude.
- Dieu m'est témoin, j'ai une affreuse croix à porter. Vous voulez un bon p'tit verre ?
- Oui, merci. Mais pas trop fort, hein. Je ne suis pas très buveur.
- Oh, Seigneur Jésus, renifla Mme Reilly en remplissant deux verres de whisky pur à ras bord, quand je pense à tout c'que j'encaisse, y a des jours, j'ai envie d'pleurer.
Et là-dessus, Mme Reilly éclata en sanglots bruyants et violents."

La Conjuration des imbéciles - John Kennedy Toole

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