Sur les toits de Paris
Rue des maléfices / Jacques Yonnet
(1954 - publié, à cette époque, sous le titre d'Enchantements de Paris)
Phébus Libretto, 2004
J'étais fort tentée de passer cette lecture sous silence, déjà parce qu'elle m'a laissée dubitative tout au long des pages, aussi parce qu'elle date désormais de quelques semaines et que les souvenirs s'étiolent... Mais cette Chronique secrète d'une ville (c'est le sous-titre) faisant partie de mon challenge de l'année, je trouvais préférable d'en parler un peu.
Rue des maléfices est le seul texte écrit par Jacques Yonnet (1915-1974). Celui-ci avait cette double particularité d'être historiographe et totalement fasciné par Paris, ses bas-fonds, les légendes qui s'y propagent, sa population atypique et attachante.
Résistant pendant la Seconde guerre mondiale, il observe la vie de la Rive Gauche, côtoyant ses habitants tellement originaux qu'ils pourraient tout aussi bien être des personnages romanesques... et parce que la ville change après la guerre, Jacques Yonnet décide de compiler ses souvenirs afin qu'il en reste une trace, quelque part.
Ainsi donc, Rue des maléfices ne se présente pas comme un roman mais comme une succession de chroniques, où l'on rencontre divers personnages (les chroniques conversent parfois entre elles, puisqu'on croise plusieurs fois certaines figures, parmi les plus marquantes évidemment); le temps est essentiellement celui de la Seconde Guerre Mondiale, mais les murs ayant une mémoire, certaines légendes plus anciennes sont aussi relatées, comme celle de l'Homme-qui-chante, où un homme à l'agonie s'approche de la Seine pour y mourir, tandis qu'une apparition féminine vient le prendre dans ses bras pour passer la nuit avec lui; le lendemain, elle a disparu. Lui, comme ressuscité, chante dans les rues parisiennes; il est devenu aveugle.
Les souvenirs croqués sont tour à tour étranges, amusants, incroyables, percutants. On y rencontre « le Vieux d'après minuit », qui apparaît subitement pour trancher les débats nocturnes dans les cafés, un sculpteur de marionnettes dépassé par son pouvoir d'artiste, un "dormeur" qui, pendant son sommeil, soulage les autres de leurs douleurs et maladies, une étrange femme au destin fatal qui cherche en permanence du lait pour les chats qu'elle recueille (alors qu'on est en temps de guerre, et qu'il n'y a rien à manger)...
Le tout est assorti de photos de Doisneau et de dessins de Jacques Yonnet (j'ai, la plupart du temps, eu du mal à cerner l'intérêt des photos, qui sont notamment censées immortaliser certains personnages du livre, alors qu'on sait pertinemment que ce ne sont pas eux qui ont été directement photographiés).
L'ensemble donne un objet atypique et étonnant; il faut malgré tout faire l'effort d'entrer dans le texte, dont l'écriture peut être déroutante. Mélange de termes argotiques, de tournures stylistiques qu'on n'a pas l'habitude de lire... l'écriture de Jacques Yonnet a du caractère, c'est certain (là, vous comprenez subtilement que je n'ai pas été conquise).
Certaines histoires m'ont marquée (ce sont essentiellement celles que j'ai évoquées dans ce billet), mais j'avoue que dans l'ensemble, je n'ai pas été séduite autant que je l'espérais.
Si vous voulez en savoir un peu plus sur l'auteur et son œuvre, je vous envoie à cette adresse.
« Ce n’est pas pour rien qu’il existe tant de bistrots dans Paris, affirmait Danse-Toujours. Ce n’est pas tellement pour boire que tant de gens y sont tout le temps fourrés. C’est pour se rencontrer, se réunir, se rassembler – se rassurer. Oui, se rassurer : les gens s’emmerdent tout le temps, et ils ont la trouille, la trouille de la solitude et de l’ennui. Et puis ils portent tous dans leur au-dedans leur bonne petite trouille-maison : la peur de la mort, tous aussi je m’enfoutistes qu’ils aient l’air. Pour ne pas y penser ils feraient n’importe quoi. N’oublie pas que c’est avec cette trouille-là qu’on a bâti tous les temples et toutes les églises. »