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N.u.l.l.e.
7 juin 2008

« Oh ! mon Dieu ! C’est cet abominable Butler ! »

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell (1936)
traduction de Pierre-François Caillé

Avertissement : j'ai tâché le plus possible de ne rien révéler de l'intrigue (quand bien même elle est fort connue...) par respect pour ceux qui ignorent encore le contenu du roman. Mais je dévoile quand même quelques éléments, importants sans être exagérés. A vous de voir, donc.

« I have forgot much, Cynara! gone with the wind,
Flung roses, roses riotously with the throng,
Dancing, to put thy pale, lost lilies out of mind;
But I was desolate and sick of an old passion,
Yea, all the time, because the dance was long:
I have been faithful to thee, Cynara! in my fashion. »

[Ernest Dowson]

2643453

Lorsque j'ai emprunté Autant en emporte le vent à la bibliothèque, j'ai vérifié qu'aucune personne de ma connaissance ne pouvait me prendre en flagrant délit. Lorsque j'ai ouvert le livre, dans le train, je tentais de cacher la couverture au voisin d'à côté, qui lisait Pascal (étrange, non ?). J'avais peur qu'on me prenne pour une sentimentale.
...
Tout le monde connaît Autant en emporte le vent, mais on ne serait pas pris au sérieux si on évoquait ce roman dans une soirée mondaine. Ça fait doucement sourire, on imagine la lectrice essuyer quelques larmes dans un mouchoir de soie rose et on est presque soulagé d'être soi-même épargné par ses épanchements romanesques.
J'avais vu le film, comme tout le monde. Je n'en garde strictement aucun souvenir, c'est donc presque ignorante que j'ai ouvert l'imposant roman : pour moi, il s'agissait simplement d'une histoire d'amour.
Simplement.
Ma naïveté est risible.

Tout démarre sous une véranda, en Géorgie. Une jeune fille aux yeux verts entretient la conversation avec des jumeaux qui lui font la cour.
Nous venons de faire la connaissance de Scarlett O'Hara et l'on sait de suite à quoi s'en tenir. La demoiselle rejette de la main toute allusion à la guerre qui semble se préparer; elle ne pense qu'à papillonner des yeux pour séduire les hommes qui l'entourent. Jeune fille prétentieuse, sûre d'elle, égoïste et capricieuse, elle sera plus d'une fois victime de son mauvais caractère et de ses colères si fréquentes. D'ailleurs, n'est-ce pas transformée en volcan en éruption qu'elle parle pour la première fois avec Rhett Butler (quelle scène !) ? On le dit paria, parce qu'il a résisté à la société bien-pensante, et que c'est une conduite inacceptable; mais, visiblement, il découvre en Scarlett une fougue incroyable, une tendance à penser à contre-courant, et ça le ravit. On le comprend; qu'une fille soit aussi jolie et tenace, c'est rare et précieux.
Pourtant, il n'est absolument pas question d'amour pour l'instant et comme je l'ai écrit plus haut, ce serait trop réducteur de n'évoquer que cet aspect-là du roman. En réalité, Autant en emporte le vent est à la fois une fresque historique par son ancrage total (et partial) dans la Guerre de Sécession, et une saga humaine à l'envergure époustouflante. Les deux pans sont indissociables, à tel point que le contexte historique et politique devient en lui-même un personnage central du roman; il s'agit de survivre le moins mal possible dans des terres jadis rassurantes, mais désormais touchées par le chaos et l'horreur de la guerre. C'est évidemment le genre de situation difficile pour tout le monde; mais la chute des grandes familles aisées n'en devient que plus dramatique. On grandit à l'abri des soucis, on regarde gentiment les esclaves s'épuiser dans les champs de coton. Tout semble acquis, les repas somptueux comme les toilettes habillées des femmes, les terres cultivables comme la bonne réputation des familles installées depuis plusieurs générations. Un univers intouchable, qui sera pourtant détruit par la folie humaine; mais n'est-ce pas dans les pires situations que l'on prouve réellement qui on est ?

Ce qui est passionnant dans Autant en emporte le vent, c'est la richesse et la variété des portraits érigés; l'âme humaine y trouve tant de représentations différentes qu'on cherche à comprendre chacun des personnages, qu'on s'attache nécessairement à eux. Tous m'ont paru intéressants, parce qu'ils apportent, chacun à leur manière, une vision particulière de la situation, et cette mosaïque de ressentis est admirablement conduite par la romancière. Il y a mille manières de réagir face à un événement quelconque; et cette réaction est forcément influencée par le vécu de la personne, par sa manière d'appréhender, de réfléchir, de vivre. Scarlett, par exemple, a un courage hors norme, presque vain; elle se bat contre des moulins à vent mais parce qu'elle n'a pas conscience de la taille réelle des obstacles, elle ne se laisse pas intimidée, s'élance; et réussit.
Je m'éloigne de ce que je voulais dire au début de ce paragraphe; pour essayer d'être simple, les portraits des personnages sont tellement empreints d'humanité et de crédibilité qu'ils m'ont poussée à lire ce roman comme si tout cela était vrai. Et bien que le duo Scarlett/Rhett (j'y reviendrai, n'ayez crainte) marque plus les esprits (à long terme), les deux passionnés ne devraient pas éclipser les autres personnages. Je ne vais pas tous les énumérer, mais je ne peux pas passer sous silence certains autres, parce que leurs attitudes et leurs choix importent beaucoup dans l'intrigue. La plupart d'entre eux cachent des fêlures ou des chagrins, qu'ils surmontent comme ils peuvent; il en est ainsi d'Ellen O'Hara, mère de Scarlett (et de deux autres filles) et épouse parfaite de Gérald. Ellen a beau se dévouer corps et âme à sa famille, sa maison, ses proches, une partie d'elle-même s'est éteinte dans sa jeunesse, avec le décès de l'homme qu'elle aimait. Il est douloureux d'imaginer la vie de cette femme, en apparence heureuse, mais amputée de ce qu'elle a eu de plus précieux dans son existence...
Mélanie et Ashley m'ont aussi paru bien moins fades qu'on ne pourrait le croire. Oui, Mélanie est la bonté incarnée (tout le long de la lecture, je pensais à ce détail dévoilé au début : son visage est en forme de cœur...), elle ne peut pas concevoir qu'un homme peut être uniquement mauvais. Sa générosité, sa sensibilité, sa candeur, sa bienveillance illimitées font de cette femme délicate une figure lumineuse et ressourçante pour tous ceux qui la côtoient. Elle n'en est pas moins dénuée de force et de courage, mais elle puise pour cela dans son trésor d'altruisme. Son mari Ashley est aussi autre chose qu'un homme confus et indécis. Je n'ai pas envie de tout dévoiler, c'est donc délicat d'en parler... Parce qu'il avait un choix à faire, il a fait celui de l'honneur, passant ainsi à côté d'une possible passion. Sagesse, droiture, un peu de sacrifice aussi... Ashley  portera toute sa vie le poids de sa décision, et sera prêt à souffrir silencieusement pour contenter sa femme (notamment quand il accepte de s'installer à Atlanta); oui, il restera fidèle à son choix, quel qu'en soit le prix.
J'en vois qui se demandent si ce billet aura une fin (je m'interroge aussi), donc je vais tenter d'avancer un petit peu. La galerie de personnages offre une telle mosaïque de sentiments et de possibilités que j'ai compati au sort de chacun, tout en appréciant la profondeur de ces portraits : je suis sûre qu'Autant en emporte le vent résiste à l'épreuve de la relecture, car son contenu est tellement foisonnant qu'on ne peut s'arrêter à tout lors d'une première lecture.

Tout ce verbiage pour en arriver ici - et là, je vais tenter d'être explicite : Ah ! Quelle peste ! Mais quel homme !
Tout est dit; pourtant, j'ai bien envie de bavarder encore un peu. Scarlett O'Hara est très difficile à cerner; on a peine à croire, parfois, qu'elle est aussi égocentrique et désintéressée par les bouleversements de la guerre. Et pourtant, c'est bien elle. Tout ce qui lui importe est de manger à sa faim, de porter des robes élégantes, d'attirer les regards et de ne surtout pas manquer d'argent. Evidemment, pendant la guerre, elle échoue sur tous ces plans mais elle est coriace, la petite, et ne s'avouera jamais vaincue. C'est une personne invivable, trop capricieuse pour mériter une quelconque indulgence. Là encore, elle réussit malgré tout l'exploit de ne pas se retrouver isolée; quelques personnes (dont Mélanie et la fameuse Mama) la soutiendront sans relâche.
Si Scarlett se contentait d'être impossible à vivre, ça serait encore supportable; mais pour elle, il n'existe aucune limite dès qu'il est question de ses propres intérêts. La morale ? Elle ne connaît pas. S'il faut piétiner le champ du voisin pour parvenir au but qu'elle s'est fixée, elle n'hésite pas une seconde; ce qu'elle ne remarque pas, c'est qu'elle détruit aussi le voisin.
Impitoyable, elle est faite pour s'entendre avec Rhett Butler. Homme volontairement exilé, il se moque ouvertement de toutes les convenances, quitte à paraître grossier. Entretenir une bonne réputation, si ça ne rapporte rien pour sa petite personne, ça lui parait futile. Il calcule tranquillement les intérêts qu'il a à côtoyer telles personnes, à telle période. Son sourire coquin (ah ! son sourire !) séduit les femmes et il use tellement de son charme qu'il finit toujours, lui aussi, par obtenir ce qu'il désire.
Scarlett et Rhett ne formeraient-ils pas le couple idéal ?
...
Leur relation, tout au long du roman, alterne les scènes d'entente et celles de conflits. D'ailleurs, ils ne peuvent pas se croiser sans que Scarlett ne sorte les griffes (elle est très chatouilleuse, il faut dire). C'est à la fois excessivement drôle et touchant; le lecteur perçoit toujours plus que cette idiote de Scarlett et ressent parfois du désœuvrement devant son absence totale de perspicacité et d'imagination.

« - Ce n’est pas très galant de votre part de ne pas penser que, moi aussi, je pourrais être blessée, dit-elle sèchement.
Il sourit.
- Vous, allons donc, je parie qu’un de ces jours c’est vous qui donnerez du fil à retordre aux Yankees.
- Je ne crois pas que ce soit là un compliment, déclara Scarlett d’un ton évasif.
- Non, ce n’en est pas un. Dites-moi, quand aurez-vous fini de chercher un compliment dans tout ce que disent les hommes ?
- Quand je serai sur mon lit de mort, répliqua Scarlett, qui sourit en songeant qu’il y aurait toujours des hommes pour lui adresser des compliments, à défaut de Rhett. »

Dans tout cela, qu'en est-il de l'amour ? de la passion ? Est-ce qu'on vibre avec les personnages, est-ce qu'on se sent lié à leur sort ?
Mais oui, mais oui. Je comprends votre impatience; mais comprenez-moi à votre tour : pouvais-je avouer dès les premières lignes que ce roman est intense, merveilleux, terrible, éprouvant émotionnellement ? C'est tout simplement superbe. Vous pouvez admirer ma capacité à écrire autant de lignes sans rien dévoiler, alors qu'il y aurait tant à dire ! J'ai été surprise, enchantée, apeurée, j'ai espéré et fulminé, j'ai eu le cœur serré, tant de fois... parce que c'est beau, entraînant, mais si douloureux, aussi.
Un soir, j'ai remarqué qu'il ne me restait plus que 200 pages à lire. Je me suis honnêtement demandée si je devais les lire ou non. Je pensais connaître la fin (et pour le coup, j'ai été aussi stupide que Scarlett !), ça me plaisait, je souriais. Mais...
Mais.

Autant en emporte le vent m'a paru contenir tellement d'émotions que j'ai terminé ma lecture retournée. Lisez-le. Oubliez mon déballage ridicule, ne craignez pas le nombre de pages; oui, ça impressionne, mais ça se dévore (le style est très simple) et vous regretterez même que ça soit aussi court. C'est un pur délice; et pour peu que vous soyez sensible aux variations des sentiments, vous succomberez. Ça a été mon cas; finalement, je suis une grande et incurable sentimentale.

Je ne peux pas conclure sans penser à Fashion.
Si elle n'avait pas été là, je n'aurais jamais lu Autant en emporte le vent cette année; je ne l'aurais peut-être même jamais lu. Quel dommage cela aurait été; alors, merci pour cette bonne influence !

« Mon enfant, c’est très mauvais pour une femme de connaître le pire de ce qui peut lui arriver, car, après cela, elle n’a plus grand-chose à redouter. Et c’est très mauvais pour une femme de ne plus rien craindre.
[...] Cette absence de peur m’a attiré pas mal d’ennuis et m’a coûté une bonne part de bonheur. Dieu veut que les femmes soient des créatures timides et apeurées, et il y a quelque chose de pas naturel chez une femme qui n’a pas peur… Scarlett, gardez toujours quelque chose à craindre, exactement comme vous gardez quelque chose à aimer… »

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Commentaires
E
* Caro[line], bon courage pour Proust ! Je l'ai peu côtoyé pour l'instant, il m'a beaucoup plu, mais il reste un auteur difficile à lire.<br /> Quant à me prêter la pseudo-suite, que c'est gentil, merci !! Pour l'instant, je crois que je vais quand même m'en tenir à ce roman-là, et à la vision que j'en ai, je n'aime pas tellement ces suites/réécritures faites sans le consentement de l'auteur... Mais vraiment, merci ! :-)<br /> <br /> * Fashion, ça laisse donc croire que Mélanie était une vraie sainte !! Tu dis qu'elle voyait au-delà des apparences, ok... mais ce qu'il y a justement au-delà, ce n'est pas très rassurant non plus ! Ashley aurait pu succomber, et devenir le caprice de Scarlett. Quelle angoisse, chaque jour...
F
"Et j'aime imaginer qu'elle est moins aveugle qu'on ne le croit..." : à mon avis elle n'est pas du tout aveugle et elle sait très bien ce qui se trame entre Ashley et Scarlett mais c'est quelqu'un qui voit au-delà des apparences.
C
Je n'ai pas lu "A la recherche..." mais je compte bien m'y mettre ! (C'est la lecture d'un livre sur Proust qui m'a donné envie.)<br /> <br /> Quant à Mélanie, je l'ai beaucoup plus apprécié après avoir lu "Le clan Butler", une pseudo-suite (en fait, c'est la vision de "Autant en emporte le vent" côté Butler, agrémentée d'une courte suite). D'ailleurs, si ça te dit, je peux te la prêter !
E
Quoi, tu ne le savais pas ? Je croyais que c'était désormais de notoriété public ! En effet, j'ai cette particularité d'être du sexe féminin et de ne pas aimer Jane Austen. C'est très rare. Mais je n'insiste pas, c'est le sujet de mon billet de demain, que-je-n'ai-toujours-pas-écrit, pfff.<br /> <br /> Et je suis heureuse de voir que tu aimes Mélanie ! Sinon, j'aurais cru à de l'acharnement contre le couple ;-) Oui, elle est très intéressante. Et j'aime imaginer qu'elle est moins aveugle qu'on ne le croit...
F
Comment ça "Jane Austen (re-hélas ! ;-) )" ?????? Quoi ????? Tu n'aimes pas jane Austen ???? Est-ce seulement possible ????<br /> <br /> <br /> (sinon, j'aime beaucoup le personnage de Mélanie, elle est très intéressante, la bonté et la bravoure à parts égales et une volonté sans faille)
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