If we took a holiday...
La traversée de l'été
de Truman Capote
traduction de Gabrielle Rolin
J'aime beaucoup Truman Capote, que j'ai lu pour la première fois grâce à Holly Golightly (mais aurait-il pu en être autrement ?). Mon attachement pour cet auteur n'est pas forcément flagrant dans ces pages, parce que mes différentes lectures n'ont pas toutes fait l'objet de billets. Je me rattrape donc avec ce livre-ci...
... dont je n'ai pas mis la date de parution, pour raconter l'histoire que tout le monde connaît : La traversée de l'été est un inédit de jeunesse, publié à titre posthume. Un concierge qui avait déménagé les affaires de l'écrivain avait pris soin de garder ce manuscrit, alors que Capote lui avait demandé de tout jeter.
C'est en 2006 que les lecteurs ont pu découvrir ce gentil petit roman, qui se déroule pendant un été caniculaire à New York. Grady, qui a un prénom de garçon (celui de son frère mort ! quel héritage, dites donc), a dix-sept ans et elle a réussi à convaincre ses riches parents de la laisser seule dans la grande ville, pendant qu'ils partent s'amuser en Europe. Mais pourquoi tient-elle tant à rester à New York ? Parce qu'elle est amoureuse, évidemment ! Alors qu'un Peter Bell, drôle, riche et amoureux, gravite autour d'elle, Grady n'a d'yeux que pour Clyde, un petit gardien de parking. Autant dire que leur amour n'a aucune chance, mais c'est le genre de détail qu'on occulte très vite quand on est justement amoureux, et qu'on a dix-sept ans.
Il n'y a pas énormément à dire sur ce roman de jeunesse, qui correspond bien à l'idée qu'on peut se faire des premiers textes de n'importe quel (bon) auteur : c'est prometteur, on sent le potentiel de l'écrivain, mais c'est en l'occurrence encore léger et moins frappant que ce que Capote a pu écrire par la suite. Néanmoins, La traversée de l'été a un charme bien particulier; on sent la chaleur collante de la ville, le temps paraît suspendu (ce qui est d'autant plus facile pendant les vacances, où on perd aisément les habitudes adoptées en temps normal) et parce qu'elle se retrouve seule, livrée à elle-même (il faut la voir cuisiner, c'est encore pire que moi...), Grady se permet quelques écarts qui auraient été inimaginables en présence de ses parents... Mais voilà, il fait chaud, elle est amoureuse, pourquoi n'aurait-elle pas le droit d'en profiter, de choisir elle-même ce que sera sa vie ?
Le style de Capote n'est pas encore celui qu'il adoptera par la suite, mais il n'est pas dénué de poésie, d'images... A propos de ce style "trop" riche (ce n'est pas mon avis), l'écrivain Gore Vidal a dit : « Capote ? Je ne peux pas le lire, car j'ai du diabète. » Très drôle, non ? Si j'en crois la préface (de Charles Dantzig), les deux hommes ont aimé s'envoyer des piques pendant toute leur carrière.
La traversée de l'été est un texte charmant, à l'apparence légère (et votre maman vous l'a assez répété : méfiez-vous des apparences). La fin apporte une nouvelle ampleur au récit de cet été, et même si cela est amené un peu brusquement, c'est un choix assez convaincant et judicieux. La bibliographie de Capote n'aurait pas souffert si ce texte n'avait pas été publié, mais c'est quand même intéressant de voir ce qu'il a pu écrire dans sa prime jeunesse.
« Mais qu'ai-je fait ? La mer répétait cette question que reprirent à leur tour les mouettes narquoises. Le plus clair du temps, la vie est si monotone que cela ne vaut même pas la peine d'en parler, et elle n'évolue guère avec l'âge. Quand nous changeons de marque de cigarette, déménageons, achetons un autre journal, entamons de nouvelles amours ou en brisons d'anciennes, c'est pour nous révolter, de manière à la fois frivole et grâce, contre le train-train quotidien. Hélas, les miroirs sont plus traitres les uns que les autres et finissent toujours par révéler l'envers de la médaille. En se demandant Qu'ai-je fait ?, Grady voulait dire : Que suis-je en train de faire à présent ? »
En prime, les avis pertinents de Papillon, Kathel et Clarabel