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N.u.l.l.e.
7 juillet 2008

Bonne à rien

Washington Square
d'Henry James
(première publication : 1880)

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Tout commençait plutôt bien; Mr Sloper, un médecin new-yorkais réputé, est marié à la plus charmante des épouses. Mais être médecin n'éloigne pas les maladies : leur petit garçon de trois ans décède et la jeune femme meurt une semaine après avoir donné naissance à une fille répondant au doux prénom de Catherine.
La vie est parfois cruelle; elle le prouve encore en gratifiant Catherine d'un physique totalement banal, et d'une intelligente quasi-inexistante. Comble de malchance pour son père, et pour elle-même, qui ne semble avoir que sa dot pour séduire...
Car Catherine est riche, et ce simple fait n'échappe pas au regard avisé de Morris Townsend, un jeune homme fort bien bâti qui aimerait faire fortune facilement. Feignant les sentiments amoureux et aidé par la tante de Catherine (Mrs Penniman, que nous pourrions qualifier de "vraie mêle-tout"), Townsend va séduire la riche jeune fille, tant et si bien qu'elle va s'éprendre follement de lui... tandis que l'implacable Mr Sloper refusera catégoriquement leur éventuelle union.

Mon Dieu ! Si la jeune fille était vive d'esprit, pauvre et charmante, on se serait cru chez Jane Austen... Je ne pouvais pas ne pas y faire allusion, étant donné qu'on rapproche facilement ces deux auteurs. Seulement, il y en a un des deux qui m'a plu; saurez-vous deviner lequel ?
La comparaison James-Austen ne me paraît pas des plus pertinentes au vu de ce que j'ai pu lire de ces deux écrivains, c'est pourquoi j'oublie  la romancière anglaise dès la phrase suivante.
Tout l'intérêt de Washington Square réside dans le portrait psychologique des personnages; ils sont quatre à se partager le récit, et il est amusant de remarquer à quel point ils ont chacun une image déformée, erronée, des autres. Le docteur est par exemple convaincu que sa fille est stupide et qu'elle n'éprouve aucune émotion, parce qu'elle affiche constamment une sereine apparence. Pourtant, Catherine est loin d'être neurasthénique; elle est juste discrète, et cruellement lucide : ceux qui l'entourent sont avides de ses malheurs, mais ils ne l'aiment pas autant qu'elle a besoin de l'être. La solitude de ce personnage, et l'incompréhension de la part de ses proches, font qu'elle cache ses torrents d'émotion derrière une image banale.
Je ne voudrais pas trop en dire sur Morris Townsend et sur sa relation avec les différents personnages; ma candeur m'a dans un premier temps empêchée de le voir tel qu'il était. Et pourtant...
Bien que la tante joue un bon petit rôle dans ces intrigues amoureuses, elle est un peu en retrait, en comparaison des trois autres figures du roman. Hormis Morris Townsend, qui est finalement assez limpide dans ses projets, il est parfois difficile de comprendre les réactions du docteur et de sa fille, tant elles sont inattendues dans ce genre de roman. Lui n'aime pas son enfant, parce qu'elle n'a rien gardé des qualités de sa mère; mais il manifeste une telle dureté envers Catherine que ça en est surprenant. La jeune fille, quant à elle, ne ressemble pas aux héroïnes habituelles; et cette vision cynique, froide, intraitable d'Henry James apporte un grand intérêt à son roman. De plus, les dialogues sont excessivement savoureux (certaines répliques du docteur sont mémorables) et portés par une ironie aussi étonnante que délicieuse. Un narrateur non identifié prend plaisir, de temps en temps, à intervenir dans l'histoire, pour ajouter à la fois de la distance et de l'humour.
Cette description psychologique des personnages, parce qu'elle est incongrue, féroce (et probablement réaliste !), fait de Washington Square un roman captivant (bien qu'il ne se passe pas grand-chose), un roman dans lequel on avance à tâtons, au fur et à mesure que les personnages prennent des décisions capitales pour la suite de leur existence...
Henry James se lit facilement, mais aussi avec beaucoup de plaisir, ce qui est loin d'être négligeable. Les derniers chapitres resserrent l'étau autour de ces destins somme toute anodins, mais si accablants... On se rend compte alors que certains chagrins ne se tarissent pas avec le temps, et que le regard extérieur peut être d'une cruauté impitoyable.

« Un jour – l’enfant devait avoir douze ans –, il lui avait dit :
- Essaie d’en faire une femme intelligente, Lavinia ; j’aimerais qu’elle soit une femme intelligente.
Pendant un moment, Mrs Penniman parut pensive :
- Mon cher Austin, s’enquit-elle, crois-tu qu’il soit préférable d’être intelligent plutôt que bon ?
- Bon à quoi ? questionna le docteur. Vous n’êtes bon à rien si vous n’êtes pas intelligent. »

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Commentaires
E
Karine, j'adore ce genre d'association d'idées !<br /> Et oui, Henry James mérite d'être lu, je suis certaine que son heure arrivera bien un jour dans ta vie de lectrice :-)
K
Ca fait une éternité que je veux découvrir Henry James (j'ai même "Portrait of a lady" dans ma PAL... peut-être... je pense... anyway!). En fait, ça date du moment où j'ai écouté "Notting Hill" et où on parlait de cet auteur... c'est profond comme motivation, n'est-ce pas!!! ;)
E
* Canthilde, je n'ai aucun élément de comparaison puisque je découvrais Henry James, mais ton commentaire est encourageant : il y a encore mieux qui m'attend ! Si tu as des titres que tu affectionnes particulièrement, je suis toute ouïe...<br /> <br /> * Fantômette, je suis allée lire le billet de Bon sens, et tes impressions de lecture, et comme j'aime bien comprendre ce que je lis, je sais que je ne vais pas tenter "Le tour d'écrou" pour ma 2e lecture de James... En tout cas, ravie de te tenter !<br /> <br /> Par contre, je ne comprends pas ton 2nd commentaire, alors oui, je vote pour dire que l'alcool n'est pas étranger à cette histoire. Ce que tu écris apparaît correctement, après, c'est vrai, il peut y avoir des couacs pendant que tu écris, Canalblog est faillible...
F
Quand j'écris un com', ça fait rien qu'à se décaler dans la case. Est-ce bien normal ou ai-je abusé du Tariquet ?
F
Rien lu d'autre que "Le tour d'écrou" sur les blogoconseils de Bon Sens. Tu me tentes.
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