Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
N.u.l.l.e.
13 juillet 2008

The world is yours

Il y a quelque chose de bon à voir de vieux films au cinéma; le grand écran est peut-être encore plus intransigeant que le petit : les défauts, la désuétude, la (mauvaise) qualité de la copie sautent plus facilement aux yeux. Et quand on arrive à être subjugué par un film qui a plus de soixante-dix ans, il n'y a pas de doute : on est devant un grand film.

Tony "Scarface" Camonte est prêt à tout pour régner sur Chicago; petit malfrat ambitieux, il n'hésite pas à liquider plus puissant que lui pour grimper dans l'échelle sociale de la pègre... D'un caractère totalement possessif, il fait peur à sa mère et refuse que sa sœur Cesca ne fréquente des hommes - tandis que lui ne se gêne pas pour tomber amoureux de la petite amie de son chef, une blonde mordante répondant au merveilleux surnom de Poppy.

http://www.commeaucinema.com/images/galerie/scarfacehawsaffvf1.jpg

Scarface (d'Howard Hawks) est donc le récit de cette ascension au pouvoir. Les faits et gestes de Tony Camonte sont directement inspirés de la vie d'Al Capone, le célébrissime gangster spécialisé dans le crime, l'alcool et la prostitution; le genre d'homme qu'il valait mieux éviter de chatouiller. Le film, donc, reprend minutieusement certains méfaits du terrible gangster, comme le Massacre de la Saint-Valentin (séquence admirable dans le film, où tout se fait par jeux d'ombre, jusqu'à ce que la caméra s'arrête sur la charpente en bois, stimulant l'imagination du spectateur qui entend mais ne voit rien). N'étant pas vraiment une spécialiste de Capone, ni des films de gangsters, je ne vais pas tenter de me le lancer dans une fausse étude intelligente et argumentée, mais plutôt expliquer à ma manière à quel point ce film est bon.
ScarfaceL'acteur principal, Paul Muni, est un inconnu à l'époque (début des années 30); pendant les premières minutes, j'ai osé le trouver presque ridicule, avec ses cheveux plaqués et son étrange dégaine. Mais finalement, il crève l'écran dans ce rôle, où il n'a peur de rien. Il provoque la police, refusant toute autorité officielle, mais aussi officieuse : Tony Camonte a peu de respect envers son chef, qu'il considère comme un peureux sans envergure. Le truand est à la fois beau parleur (quand il est en présence de Poppy, de la police), menaçant (même avec sa famille - quand il félicite sa mère pour un repas bien préparé, on se dit qu'il était à deux doigts de la frapper si ça n'avait pas été à son goût), et totalement inhumain. Il a la gâchette facile, le Tony. Vous me direz que ce n'est pas surprenant pour un film de ce genre, mais je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi violent. C'est en partie pour cela que c'est une grande œuvre : les scènes de tuerie fonctionnent encore à merveille aujourd'hui, elles ne me semblent pas avoir perdu de leur force. Violent et moderne, donc. La réalisation n'est pas étrangère à cela : les plans sont tellement soignés, certains crimes sont tellement bien mis en scène que, là où on aurait pu avoir un simple film de truands, Hawks insuffle à son œuvre une esthétique précise et recherchée.
Paul Muni est donc exceptionnel, incarnant une bestialité terrifiante; mais il n'est pas seul et les acteurs qui l'entourent offrent tous des compositions très justes. Il y a notamment Angelo (interprété par Vince Barnett), un de ses complices totalement stupide - il apporte une touche d'humour loufoque, permettant à l'atmosphère générale de ne pas s'alourdir. Une scène est marquante : Tony et ses copains gangsters sont au théâtre, mais le devoir les appelle (comprenez : la personne qu'ils veulent absolument tuer est localisée, il ne faut pas perdre de temps). Le pauvre Angelo est sommé de rester jusqu'à la fin de la représentation pour raconter le dénouement à son patron, ce qui crée un décalage absolu quand il rejoint les hommes prêts à tirer, et qu'il explique la conclusion de la pièce à Tony, enchanté de connaître le mot de la fin.
Dvorak__Ann__Scarface__01Deux femmes sont remarquables aussi : d'un côté, la blonde Poppy (Karen Morley) et de l'autre, la brune Cesca (Ann Dvorak). La première n'est pas du genre à craindre les truands; au contraire, puisqu'ils peuvent lui rapporter de l'argent, elle les côtoie sans aucun problème de conscience. Le charisme de Tony Camonte l'aidera à succomber, et à vite oublier l'ancien chef, fort ennuyeux. Cesca (la sœur de Tony) est excessivement intéressante; sa beauté rappelle un peu l'esthétique des films muets (ce que je trouve totalement charmant). Elle est en quelque sorte captive de son frère, qui lui interdit de sortir et de fréquenter des hommes; mais justement, parce qu'elle est aussi effrontée que Tony, elle n'hésite pas à transgresser ces interdits. Elle en paiera le prix. La relation des frère et soeur est volontairement ambiguë, Hawks ayant voulu raconter une histoire incestueuse mais la censure étant passée par là, le film est plus léger que ne l'aurait souhaité le réalisateur...
On comprend à la fin du film combien le frère et la sœur étaient attachés l'un à l'autre; ne vous inquiétez pas, je ne raconterai rien, si ce n'est que les dernières minutes sont une réussite totale (comme toutes les minutes précédentes, d'ailleurs).
Scarface est un film puissant, et remarquable en de nombreux points; je suis presque étonnée qu'il ait pu sortir en salles alors que Capone sévissait toujours, il aurait pu mal prendre cette petite provocation, mais d'après ce que j'ai pu lire, il aimait beaucoup ce film, au point de s'en être procuré une copie !

[Titre du billet : The world is yours est une enseigne publicitaire que Tony voit depuis son appartement...]

Publicité
Commentaires
E
Je te confirme que ce serait radical pour oublier ta confusion, Capote et Capone n'ont à peu près rien en commun ! Si les "vieux films" ne te rebutent pas, celui-là est vraiment excellent, je te le conseille...<br /> (et mon article a été écrit avant que tu ne parles de Capote, alors ton billet m'avait fortement amusée !!)
L
Ton inconscient voulait se moquer de moi ? je devrais peut-être regarder ce film, j'ai appris il y a quelques jours ce qu'est le "massacre de la Saint Valentin", et comme ça je serais sûre de ne plus pouvoir penser à Capote sans pense à Capone (et vice-versa) ;o))
Derniers commentaires
Publicité
Publicité