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N.u.l.l.e.
5 septembre 2008

Comment perdre 500 euros en une soirée

Où le blog-it trouve toute son explication

Flowers

Il y en a qui se vantent ouvertement de leurs maladresses; ici et , ils nous font part de leurs exploits. Mais, agacée de voir les projecteurs tournés constamment vers les mêmes acteurs, j'ai décidé de me sacrifier pour leur montrer que ce ne sont décidément que des amateurs en matière d'étourderie et de boulettude. Bref, il était temps que la Nulle reprenne officiellement du service.

Pour cela, il faut bien choisir le lieu, l'heure et le jour (très important, le jour - on a par exemple plus de chances de rater le dernier métro en semaine que le week-end (puisque le week-end, les métros circulent plus longtemps). Il faut calculer soigneusement ces petits détails, et ne pas se lancer aveuglément dans la quête de la honte).
Mardi soir, donc. On était mardi soir, la nuit était déjà tombée depuis plusieurs heures sur les toits de la ville rose (admirez mon talent à romancer, on sent la fille qui a souffert pendant des années, en remplissant ses dissertations avec des digressions infinies et inutiles, mais qui agrémentent une copie quand on n'a rien à dire).
Il était minuit quarante, et la mère (je l'appelle ainsi en hommage à Marguerite Duras (cf L'amant) et aussi par douce pudeur) me raccompagnait doucement chez moi, où elle devait récupérer quelques affaires. En fille aimable, je fais seule plusieurs aller-retours entre mon studio et le hall d'entrée, afin de tout descendre et ensuite tout charger d'un bloc dans la voiture (ce que je raconte est passionnant).
Mais ce que je porte est lourd et je n'ai pas de poches. Je pose machinalement les clés dans le hall, une petite voix intérieure me prévenant : Ce ne serait pas bon d'oublier les clés là, oh non, pas bon du tout.
La petite voix aurait dû parler plus fort.
Je dépose mon fardeau dans la voiture; entends la porte d'entrée se refermer derrière moi mais ne m'en inquiète pas pendant quelques secondes, jusqu'à ce que le message arrive au cerveau.
Je suis dehors, les clés sont restées à l'intérieur. Il est minuit 45, il n'y a aucune lumière chez les voisins et la situation ne fait rire personne.
Dans un élan désespéré, je sonne malgré tout à chaque interphone; je prie pour que les gars du 3e me répondent. Ils sont couche-tard, et accessoirement ma seule chance.
Personne ne réagit. Normal - un mardi soir, on est généralement plus raisonnable que le week-end.
Je ne vais pas vous décrire les trois quart d'heure suivant. Car oui, je n'ai pas décollé de la porte d'entrée durant 45 minutes, refusant de croire que j'avais été assez stupide pour me retrouver dehors, sans rien, à une heure où il est peu courtois de déranger les gens.
On a demandé à des policiers qui passaient par là s'ils n'avaient pas un passe. Réponse négative.
Vous avez essayé de sonner chez les voisins ? demande l'un d'eux, tout en rappuyant sur tous les boutons. Il ne reste plus qu'à appeler un serrurier.
En pleine nuit ? Vous voulez que j'y laisse mon salaire du mois d'août, peut-être ? (je m'imaginais déjà, vouée à la prostitution, pour payer mon futur loyer. Ça ne m'amusait pas beaucoup). Ils savent comme moi que ce sera hors de prix. Ils ne démentent pas notre pronostic de 500 euros. Je crois que je ne sourirai plus jamais de ma vie.

J'opte pourtant pour une autre solution, plus sage. Je glisse un mot sous la porte, expliquant la situation. Je prévois de camper devant la porte, le lendemain matin, à partir de 6h30 (je sais qu'un des locataires part très tôt, preuve du bruit qu'il fait dans l'escalier chaque matin...), espérant croiser l'un d'eux pour récupérer mes clés (et ce que j'avais accessoirement laissé avec, c'est-à-dire rien de moins que mon ordinateur portable. Le vieux, certes, celui qui ne vaut plus rien, mais est-ce une raison pour s'en foutre ?).
Dans un grand élan de solitude, la mère sonne une dernière fois à tous les interphones.

C'est là qu'on entend une fenêtre s'ouvrir, et une voix mélodieuse crier :
Mais ce n'est pas bientôt fini de sonner comme ça chez les gens, en pleine nuit !
La tête hirsute et colérique qui se penche par la fenêtre, c'est celle de ma voisine. Il est 1h30 du matin et c'est la mère qui lui explique la situation, parce que je suis déjà trop occupée à prévoir mon déménagement immédiat (comment pourrais-je rester dans cet endroit alors que j'ai réveillé ma voisine en pleine nuit, après avoir sonné pendant 45 minutes à toutes les portes, créant un vacarme qui a dû en gêner plus d'un ?). La voisine ne comprend pas tout (et pour cause - vous comprendriez quelque chose, vous, si on vous réveillait aussi brutalement ?) mais elle daigne malgré tout ouvrir la porte d'entrée, derrière laquelle je retrouve mes traîtresses de clés.

J'ai eu tellement honte qu'une fois chez moi, je n'osais plus rien faire. Fermer les volets ? N'y pense pas, ça va faire du bruit. Allumer l'ordinateur ? Tu es folle, tu ne mérites pas de te connecter après ce que tu as fait. Dormir ? Il serait temps, oui, mais comment dormir, avec le poids de la honte et de la culpabilité ? Vous croyez que j'exagère, mais je n'exagère pas du tout. Depuis bientôt un an que je suis là, je m'évertue à être transparente, silencieuse. Je ne veux pas qu'on me voit, je ne veux pas qu'on m'entende (au risque de passer pour une grande folle mais, n'en suis-je pas une ? Je vous laisse répondre par vous-mêmes. Ou plutôt, non, s'il vous plaît, ne répondez pas, votre verdict pourrait me faire mal au cœur).
En une soirée, je deviens la fille à maudire et je n'aime pas du tout ce statut-là.
Le lendemain matin, quand la voisine part travailler, je crois qu'elle va faire un détour par chez moi, pour gueuler. Mais non. La journée est interminable et je me transforme en un mètre soixante-dix-huit de honte (oui, je suis grande, merci).
Je pars lui acheter un bouquet; la commerçante me dit que j'ai bien choisi les fleurs, que leurs couleurs s'harmonisent à merveille. J'ai envie de lui demander si ça suffira, à son avis, pour se faire pardonner. Mais je ne dis rien.

Le soir, j'entends ma voisine rentrer chez elle. L'heure de vérité approche. Elle va crier, et elle aura raison. Je laisse passer quelques minutes, j'ai envie de fuir en courant. Je sonne pourtant. Je lui explique qui je suis, lui présente mes bafouillantes excuses, lui tends le bouquet.
Elle ne crie même pas; en une journée, elle a déjà tout pardonné. Elle s'excuse presque d'avoir été hargneuse, alors qu'il y avait de quoi. Elle est gênée de recevoir des fleurs, mais je sais que j'ai eu raison (elle adore les fleurs, les plantes. Elle arrive à garder ces dernières en vie. Admirable).
Tout est bien qui finit bien, me direz-vous. Mais personnellement, il va me falloir encore un petit laps de temps avant de me pardonner cette foutue histoire de clés (mais ça n'arrive que dans les films, bon sang ! pourquoi moi ?) et le brusque réveil de la voisine.

Maintenant, les clés ne quittent plus ma main. J'en ai donné un double à mon frère. Et j'ai même économisé 500 euros.

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Commentaires
E
Oui, je crois que c'était le minimum à faire après s'être faite remarquée à ce point... <br /> (et je viens de réaliser qu'on voit mes traîtresses de clés sur la photo, grr...!)
C
Ce bouquet est magnifique, tu as bien fait ! :-)
E
Tu me fais rire ! L'approbation de Nadine de Rotschild vaut tout l'or du monde. Je suis donc une fille maladroite, mais bien élevée. Tout n'est pas perdu !<br /> Et, oserais-je l'avouer ? Je ne me sens plus du tout coupable :)
Z
Belle histoire, et belle boulette aussi, à la portée de beaucoup, à mon avis ;)<br /> Et puis sinon, pas de quoi culpabiliser. Après tout, tout le monde aurait réagi de la même manière, et tu as parfaitement clos l'incident en allant t'excuser le lendemain avec un bouquet.<br /> C'est sûr, Nadine de Rotschild aurait été fière de toi !! :)
E
Non mais ce n'est pas bête, effectivement, un gâteau. Seulement, même avec une pâte toute prête, je suis capable de rater le reste (j'aurais dû photographier mes œuvres culinaires, c'est toujours l'occasion de grandes rigolades). La prochaine fois que j'aurai un problème, j'offrirai une friandise, oui. Heureusement que tu es là !
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