Wonderlust King
Entre Madonna et moi, c'est une longue histoire - j'en reparlerai bientôt d'ailleurs. Je la regarde jouer au cinéma (parfois), j'écoute sa musique (souvent; mais j'en ai honte, rassurez-vous) et quand j'apprends qu'elle est passée derrière la caméra, je vais logiquement voir le résultat.
Obscénité et vertu (Filth and Wisdom) est sorti mercredi. Un titre gentiment provocateur, une affiche dans le même goût qui laisse présager le pire, une bande-annonce moins catastrophique que prévu. Le film ne brille pas par un scénario d'une originalité folle (comme le dit si gentiment Le Figaro - celui qui a écrit cet article n'est pas mon ami, et fait dans la facilité), mais peu importe, l'originalité ne m'intéressait justement pas.
On fait la connaissance d'A.K., un pauvre chanteur ukrainien qui galère pour se faire une place à Londres. Parce que personne n'est intéressé par sa musique de gitan, il gagne sa vie en mettant en scène les fantasmes des hommes mariés et frustrés (ne me demandez pas de détails. S'il vous plaît). Il a la chance de vivre en collocation avec deux filles aussi perdues que lui : Juliette (Vicky McClure) travaille dans une pharmacie indienne, et ne rêve que d'une chose, partir sauver les enfants africains (et, toujours dans cette optique, elle vole des médicaments pour pouvoir les leur apporter, quand elle partira). Holly (Holly Weston), elle, fait de la danse classique depuis seize ans, mais on ne peut pas dire que c'est une branche qui rapporte. Elle a un corps superbe, un beau visage. Pourquoi ne pas danser dans une boîte de strip-tease ?
Obscénité et vertu raconte leur parcours, leur dérive avant d'arriver à bon port. Ça a l'air drôle et passionnant comme un film français (oh, ça va... on plaisante...) mais je vous assure que ce film est drôle. Et passionnant (enfin, ça, c'est déjà bien plus subjectif). Ce qu'il y a d'appréciable dans ce film, c'est que Madonna ne nous montre pas non plus des personnages plongés dans la déchéance totale, personne ne se drogue, personne ne cohabite avec des rats, bref, ce n'est ni trash, ni sensationnel. On a juste affaire à trois petits paumés, touchants (surtout pour Juliette, qui a finalement la vie la plus triste), mais pleins d'espoir et d'énergie; et ils vont devoir trouver leur place dans un monde qui leur est parfois peu familier.
Dans leur immeuble habite aussi l'incroyable professeur Flynn (Richard E. Grant) - autant le dire d'emblée, je suis tombée amoureuse dès qu'il est apparu à l'écran. Imaginez un homme, les cheveux un peu longs et grisonnants, comme on pourrait les imaginer sur un écrivain maudit. Tenez, ça tombe bien, ça en est un... Flynn a écrit des poèmes, il a même eu du succès. Mais il est devenu aveugle. Il reste cloîtré chez lui, assis face à son immense bibliothèque. Les volets sont toujours fermés. Il n'attend plus rien, si ce n'est A.K. qui lui apportera ses courses. Parfois, le soir, il sort un livre de sa bibliothèque, respire l'odeur du papier jusqu'à en pleurer. Il a tout perdu.
Il est d'une beauté à tomber - et malheureusement, impossible de trouver une photo. Il a le teint gris des gens qui n'ont plus de rêves, plus d'espoir. Sa coiffure et son maquillage ont un charme fou, poétique; toutes les fois où il apparaît à l'écran, les scènes sont parfaites. Réellement.
Bien sûr que le film, lui, n'est pas parfait; c'est parfois un peu léger, ou les séquences sont trop courtes, coupées abruptement pour passer à autre chose. Madonna n'a pas su totalement harmoniser l'humour et l'émotion, mais ce n'est pas grave. Ce sont des petites maladresses, mais ça ne lèse pas le film dans sa globalité.
A.K. (je ne l'ai pas précisé : l'acteur s'appelle Eugène Hütz, il est réellement chanteur et réellement ukrainien) apostrophe souvent le spectateur, parlant face caméra. Il nous explique ses grandes théories (qui n'innovent en rien) sur la vie, les enveloppes et l'amitié. Il aime s'allonger (habillé) dans la baignoire (vide), pour y lire et y boire. Il savoure notamment un poème du professeur Flynn, où l'on trouve les vers suivants :
I traveled the world
Looking for lovers
Of the ultimate beauty
But never settled in
I am a wonderlust king
Ils lui plairont tellement, ces vers, qu'il les mettra en musique.
Il est étonnant de voir Madonna réaliser un tel film, choisir de tels acteurs (le trio est inconnu, même si Eugène Hütz l'est un peu moins, probablement, grâce à son groupe, Gogol Bordello), proposer une telle histoire. Ça fait du bien de voir qu'elle peut encore surprendre. Obscénité et vertu n'est probablement pas un chef-d'œuvre cinématographique, mais il est néanmoins très intéressant, drôle, attachant. Personnellement, j'en redemande.
(le chausson de danse en photo appartient à la sage Holly qui, dès le début du film, s'acharne sur un cafard qui se promène dans les vestiaires de la salle de danse; une manière comme une autre de symboliser la dualité de l'être humain)