Le mot d'excuse
Se lancer aveuglément dans un challenge littéraire présuppose deux contraintes : celle de lire les romans sélectionnés (condition sine qua non, mais pas toujours évidente à respecter), mais aussi celle de parler des romans lus. C'est là que ça se corse.
Il y a parfois des lectures que je passe sous silence, faute d'inspiration. Je me suis même dispensée d'écrire quelques mots sur un livre de mon challenge (Au bonheur des ogres de Pennac) parce que je l'ai lu pendant cette triste époque où je n'avais pas internet chez moi et parce qu'il ne m'avait pas plu du tout.
Cette fois-ci, la situation est un peu plus délicate, parce que je sais qu'on m'attend un peu au tournant avec un certain roman; je veux parler de La Chartreuse de Parme de Stendhal. J'en ai terminé la lecture il y a quelques jours, mais voilà : je ne me sens absolument pas capable d'écrire dessus. Je n'ai aucune inspiration, ni aucune remarque à ajouter aux billets de Céline, Chiffonnette et Lilly.
C'est un enfer. Vous pourriez me dire d'attendre encore un peu, quelques idées peuvent me venir dans les prochains jours... mais je n'y crois pas.
Ce n'est pas que le roman m'a déplu, au contraire. Je n'y ai certes pas trouvé le même chef-d'œuvre que ma chère Fashion mais on n'y peut rien, c'est génétique : dès qu'il est question d'intrigues politiques et/ou historiques, je décroche. C'est plus fort que moi. Je peux relire six fois la même phrase, son contenu me dépasse. Terrible, n'est-ce pas ?
Et comme on me parlait de Napoléon, comme la duchesse Sanseverina n'arrête pas de comploter (pour sauver sa peau ou celle de son neveu adoré, Fabrice del Dongo), comme le comte Mosca n'est pas non plus en reste, j'étais perdue.
Heureusement, certes, il n'y a pas que ça, dans ce roman. Ne me demandez pas ce qu'on y trouve d'autre; ça va m'obliger à vous répondre, ce qui finira par ressembler à un billet de lecture, alors que je cherche justement des excuses pour ne pas en écrire un. Soyez coopérants, un peu !
La Chartreuse de Parme (publié pour la première fois en 1839) est un tissu d'intrigues romanesques, où les personnages sont obligés de se cacher, où l'on craint d'être emprisonné, où l'amour est difficile à vivre (la belle Gina Sanseverina aime un peu trop son neveu, Fabrice lui-même désespère de tomber amoureux un jour, et comme ça lui arrive fatalement, il s'éprend évidemment de la seule fille qu'il ne peut avoir), bref, c'est un roman où les personnages et le lecteur doivent sans cesse être sur le qui-vive, parce que les rebondissements ne manquent pas.
Le héros est sans doute Fabrice del Dongo, encore qu'aucun personnage n'a jamais aussi mal porté ce statut de héros; il est gauche, naïf, et on peut compter sur lui pour toujours prendre la mauvaise décision. Au moins, il fait rire - mais pour cela, il n'est pas le seul car, malgré la crainte terrible qu'on ressent dès qu'on parle de monument littéraire, La Chartreuse de Parme est un roman malicieux, sarcastique, divertissant. Je vous assure que les lectrices que j'ai citées plus haut ne sont pas folles, qu'elles ne l'ont pas lu sous substance illicite - sur ce dernier point, rien n'est sûr, mais je voulais dire par là que même à jeun, ce livre fait rire. Il donne envie de voyager, aussi (celui qui n'a pas envie de partir au bord du lac de Côme après avoir lu ce roman n'est pas un être humain).
Vous voyez bien que ce n'est pas un vrai billet de lecture, je n'ai même pas encore parler de Clélia, alors que c'est la charmante demoiselle qui ravit le cœur de Fabrice (et qui succombe aussi au charme du jeune homme). Si Fabrice brille par sa bêtise, elle, en revanche, excelle en mauvaise foi - je ne peux pas tout raconter, mais ses manigances pour respecter ses promesses tout en les contournant relèvent de l'exploit. Tous les passages où elle apparaît rendaient la lecture plus agréable - oui, sans conteste, je crois que cette intrigue amoureuse et toute la captivité de Fabrice m'ont plu davantage que le reste. Les monologues des personnages aussi; leurs stratégies politiques ne prennent de sens que dans leurs sentiments; si le comte Mosca se lance dans telle manœuvre suspecte, c'est uniquement pour plaire à la duchesse Sanseverina. Le cœur et les rancœurs gouvernent cette Italie exaltée, où il n'y a guère de place pour les jeunes gens qui ne réfléchissent pas (à moins qu'ils aient une tante fort habile dans le domaine...).
Indéniablement, La Chartreuse de Parme est une lecture agréable; elle a été laborieuse aussi par instants, mais l'humour de Stendhal et son style captivant aident à passer les chapitres un peu plus difficiles. La fin est abominable, comme si Stendhal manquait de papier et qu'il devait tout expédier en dix pages; les derniers événements m'ont fait bondir, et m'ont fait ressentir, pour la première fois dans ma lecture, de l'empathie pour les personnages.
Voilà; je ne saurais rien dire de plus. Je ne peux pas vous raconter l'histoire, ni même répertorier les qualités de ce roman. Je ne peux pas faire mieux que ça; La Chartreuse de Parme est un grand roman, dont je n'ai perçu que d'infimes éclats.