Table rase
Le fait du prince
d'Amélie Nothomb
Albin Michel, 2008
Ça commence sur les chapeaux de roue - que feriez-vous, vous, si un inconnu choisissait votre domicile pour mourir ? Peut-être que vous vous rappelleriez justement ce que vous avez entendu au dîner de la veille : il ne faut surtout pas appeler la police, mais plutôt un taxi, et foncer à l'hôpital. Il s'agit de faire croire que l'ami comateux est décédé sur le trajet. Seulement, Baptiste Bordave dérape, et opte pour une troisième solution : usurper l'identité du défunt.
Et le roman de continuer comme il avait commencé; c'est-à-dire de manière loufoque et entraînante.
Amélie Nothomb a dit dans une interview qu'écrire ce roman avait été une récréation pour elle; et ça tombe bien, ça en devient une aussi pour le lecteur. Cela faisait quelques années (quatre - depuis Biographie de la faim, un de mes préférés) que la romancière ne m'avait pas séduite à ce point.
L'intrigue est insensée (parce que Baptiste atterrit chez le défunt suédois, et la femme de ce dernier l'accueille sans poser aucune question, ce qui perturbe autant le protagoniste que le lecteur), on peut même reprocher à l'auteur de ne rien approfondir, se contentant comme souvent d'effleurer la surface des choses sans aller plus loin... pour que le lecteur invente son propre roman ? Quoi qu'il en soit, Nothomb a toujours été comme ça, on ne la changera pas. Ce n'est pas avec ce roman qu'elle va conquérir un nouveau public (elle n'en a certes plus besoin...), mais peut-être qu'elle parviendra à charmer ses nombreux fidèles... Le fait du prince regorge d'humour, de phrases piquantes, de réflexions délicieuses, de reproches amusants (ah, ces musées qui sentent la poussière, ces filles qui grignotent au lieu de manger !). La preuve :
« J'éclatai d'un rire narquois quand je vis la villa. J'ai horreur des villas. La villa, c'est l'idée que les âmes simples se font du luxe. L'instant complète « Villa mon rêve ». Toute villa s'appelle ainsi. Une villa n'a pas de fenêtres, mais des baies vitrées. J'en déteste la fonction. La fenêtre sert aux habitants d'une maison à voir l'extérieur, tandis que la baie vitrée sert aux habitants d'une villa à être vus de l'extérieur. La preuve, c'est que la baie vitrée va jusqu'à terre : or les pieds ne regardent pas. Cela permet de montrer aux voisins qu'on porte de belles chaussures, même quand on reste chez soi. »
Le roman relate donc cette étrange rencontre entre un quidam qui n'intéresse personne et sa nouvelle identité mystérieuse. Quitte à changer de vie, autant prendre celle d'un homme riche, marié à une femme superbe, propriétaire d'une voiture de rêve, et collectionneur de grandes bouteilles de champagne. Car si la femme ne mange pas, dans Le fait du prince, elle boit. A outrance. Tous les soirs, Sigrid (c'est ainsi que Baptiste nomme la veuve (qui ignore l'être, d'ailleurs)) se délecte de champagne. C'est son repas favori; à ce propos, une petite bouteille devrait être offerte avec le livre. Le lecteur a inévitablement envie de juger par lui-même s'il devient réellement aristocrate après la quinzième gorgée de champagne...
Que dire ? Je ne convaincrai pas ceux qui n'aiment pas Amélie Nothomb; et ceux qui la suivent scrupuleusement ne m'ont pas attendu pour avoir envie de lire ce roman. Et parmi ces derniers, il y aura inévitablement des déçus. Qu'importe - je n'en fais pas partie (on sent poindre un zeste d'égocentrisme, non ?). Je n'ai même pas de reproche à formuler sur la fin, elle me satisfait entièrement. J'ai terminé ma lecture comme je l'avais commencée : un sourire aux lèvres.
Merci infiniment à Cuné - qui l'a lu et apprécié aussi, la preuve par ici