De la triche, en veux-tu, en voilà !
Mais tout le monde ferme les yeux sur cette facilité, alors pourquoi aurais-je été honnête, seule dans mon coin ? Dans le challenge ABC, on trouve le fatidique X, qui en décourage plus d'un. Vous connaissez beaucoup de romanciers dont le nom commence par X, et qui en plus sont susceptibles de vous intéresser ?
Moi, pas tellement; c'est pourquoi j'ai décidé de tricher, comme tous les autres, en choisissant Gao Xingjian. Le bonhomme, accessoirement Prix Nobel de Littérature en 2000, est chinois, donc son nom s'écrit avant son prénom. Donc en réalité, si l'on suit la logique occidentale, il s'appelle plutôt Xingjian Gao. D'ailleurs, les charmants bibliothécaires ne se sont pas trompés :
Oh, une adorable cote Dewey !
(ne cherchez pas à comprendre)
(vous avez vu, ils ont sorti un livre sur le chat Dewey, d'ailleurs... mais je m'égare)
(la couverture est trop chou)
Hum, excusez-moi. Revenons à Monsieur Gao, si vous le voulez bien (en fait, vous n'attendez que ça, parce que mes digressions ne vous intéressent pas, je le sais bien, va)
Une canne à pêche pour mon grand-père
de Gao Xingjian
nouvelles tirées de deux recueils, parus en 1989 et en 1996
ici : Éditions de l'Aube, 1997
traduction de Noël Dutrait
(ah non, pas de digression sur Noël, on est sur un blog sérieux !)
Prudente jusqu'au bout des cheveux (...), j'avais mis le nom de cet auteur dans mon challenge, sans préciser quel titre j'allais lire. Dans l'idéal, je projetais de lire La montagne de l'âme. Mais à aucun moment de l'année, je n'ai eu envie de m'embarquer dans un voyage initiatique et introspectif, donc je me suis abstenue, en me rabattant sur quelque ouvrage bien plus abordable : des nouvelles. Mais étant peu familière du genre, ce n'était peut-être pas une bonne idée de découvrir Xingjian par là. Oui, je vais l'appeler par son prénom tout le long du billet, je préfère.
Ce recueil contient six nouvelles, et j'aurais bien aimé savoir pourquoi celles-ci ont été précisément traduites, et réunies ensemble, alors qu'elles étaient initialement conçues pour deux recueils différents. Les affres de la traduction, décidément, sont impénétrables.
Toutes ces petites histoires s'attachent à des moments de vie, qu'on pourrait croire anodins mais qui ont tous marqués ceux qui en ont été les protagonistes (cette phrase est effroyablement construite). La lecture du Temple, par exemple, m'a décontenancée dans un premier temps; c'est la première nouvelle du recueil, et j'imagine que la disposition n'est jamais anodine. Ici, il est question d'un jeune couple, assez modeste je crois, qui part en voyage de noces. Leur train s'arrêtant dans une gare, ils décident d'abandonner leur projet initial et de descendre dans cette ville inconnue, de voir ce qu'elle peut leur offrir. C'est ainsi qu'ils passent une simple après-midi dans un vieux temple.
Plus qu'une histoire (qui aurait un début, une fin, etc), cette nouvelle me paraît être un cliché photographique, un arrêt sur image - j'ai presque envie de dire un instantané (ce mot, au pluriel, étant d'ailleurs le titre de la dernière nouvelle du recueil). Les gens étaient inévitablement en mouvement avant d'être immortalisés photographiquement, et ils se remettent à bouger une fois qu'ils ont posé. Ainsi, cette nouvelle, comme toutes les autres d'ailleurs, me paraît être une bulle isolée du reste, une attention focalisée sur un détail, mais tout semble continuer indépendamment, une fois la lecture terminée. Ce que j'essaie maladroitement de dire, c'est que Xingjian ne représente pas ici "l'art de la chute", où il faut retourner le lecteur en trois lignes, afin qu'il relise la nouvelle en essayant de chercher quand ça bascule réellement. Non, c'est simplement la vie qu'on retrouve dans ce recueil, la vie dans ce qu'elle a d'amer...
L'accident me paraît une excellente synthèse sociologique, sur ces fameuses personnes qui se délectent des faits divers. Un accident (entre un bus et un cycliste) a lieu en pleine journée, et ses conséquences sont sanglantes : le cycliste est tué sur le coup, son fils est projeté à quelques mètres, ce qui le sauve sans doute de la mort. Fatalement, la foule accourt, et il y a des extraits de conversation absolument fascinants, qui en disent long sur le comportement des gens, sur leur curiosité parfois malsaine, sur leur manière de déformer les faits parce qu'ils n'ont pas toutes les données en main. Au fil des heures, le lieu de l'accident évolue (les corps sont emmenés - le vélo retiré - la chaussée nettoyée, etc...) et les commentaires de même.
Permettez-moi de présenter plus brièvement d'autres textes, comme La crampe, où un nageur un peu trop aventureux s'éloigne du bord, en pleine nuit, et est soudainement en proie à une horrible crampe, à tel point qu'il se demande s'il retouchera la terre un jour. La nouvelle qui donne son titre au recueil concerne un homme plongé dans ses souvenirs, alors qu'il achète une canne à pêche pour son grand-père, histoire de se faire pardonner d'avoir cassé la première, quand il était enfant... un mélange de nostalgie, de remontée dans le temps, et de regard triste sur la vie, je dois dire que cette nouvelle-ci ne m'a pas tellement passionnée... mais ce n'est à côté de celle qui clôture l'ouvrage, Instantanés. J'en ai d'ailleurs arrêté la lecture en cours de route... c'est un ensemble de petits paragraphes, apparemment distincts les uns des autres bien que certaines données se recoupent rapidement, tout cela immortalisant de brefs instants de vie auxquels je n'ai rien retenu.
Ceux qui ont compté (les pauvres) remarquent qu'il manque une nouvelle, la voici, la voilà, ma préférée : Dans un parc tourne autour des retrouvailles d'un homme et d'une femme, qui ont grandi ensemble, et dont les chemins se sont séparés. Ils discutent alors de leurs choix, de leurs regrets et de leurs espérances, tout en étant témoins du chagrin d'une jeune fille qui attend non loin d'eux, sur un banc, la venue d'une personne qui ne viendra pas. Leurs échanges sont fins, habilement écrits, et leur position de spectateur devant une histoire qu'ils inventent (car comment être sûr qu'elle attend un amoureux ?) montre que différents événements peuvent avoir lieu en même temps, au même endroit... sans qu'ils aient le moindre rapport entre eux.
La lecture de ce recueil est délicate et touchante, même si la trace qu'elle laissera en moi ne sera probablement pas très profonde. Il fallait ce chemin de traverse pour oser aborder Gao Xingjian (un jour, je vous raconterai que je l'ai rencontré), et j'espère le retrouver, plus tard, avec La Montagne de l'âme...
Il y a quelque temps, Lilly et Karine ont triché exactement comme moi...
(et histoire d'être une tricheuse jusqu'au bout, cette lecture apparaîtra, dans mon index, sous les G et les X. Comme ça, le billet aura deux fois plus de chances d'être lu ?)
Zut, j'en ai oublié de copier un petit extrait du livre. Tant pis, hein ?