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N.u.l.l.e.
26 décembre 2008

Trente-trois ans et une blessure

Ce billet a déjà été écrit une fois; mais une mauvaise manipulation de ma part me l'a fait perdre... Quelques jours ont passé, je commence à me le pardonner, et me sens capable d'en parler à nouveau, même si ça sera plus succinct que la première fois.

Un rude hiver
de Raymond Queneau (1939)
Gallimard, 2003

http://www.mollat.com/cache%5Cupload%5CUn_rude_hiver.jpg

On a parfois de mauvais a priori sur un auteur, et c'est mon cas avec Queneau. Sa Zazie dans le métro m'avait agacée, son univers fantasque et décalé ne me correspond pas. Mais un ami m'a conseillé, l'air de rien, quelques titres. Parce que j'avais envie de laisser une nouvelle chance à Queneau, et parce que j'ai entièrement confiance en l'ami pré-cité, je me suis lancée. Et je n'ai pas regretté une seconde.

Lehameau (qui a trente-trois ans, et une blessure à la jambe qu'il s'est faite à la guerre) vit dans une triste Normandie, entouré de ses fantômes (sa mère, sa femme et sa belle-soeur sont décédées dans un incendie), de personnes réelles (son frère, la libraire Madame Dutertre, ces petits enfants qu'il croise un jour dans le tramway et pour lesquels il se prend d'affection), entouré aussi par une mélancolie ineffable et un drôle de sentiment qui renaît en lui : il y a cette Anglaise, Helena, qui vit dans sa ville, qui est belle, mais voilà, il n'est pas bon de se mélanger aux Anglais en période de guerre...
C'est l'hiver 1916, au Havre. Il fait tellement gris que l'on ne peut pas imaginer le retour du soleil.

Ce roman a cette merveilleuse qualité d'être lisible - pour un Queneau, je veux dire. L'auteur ne se lance pas dans des digressions incompréhensibles comme dans Zazie, la trame reste simple du début à la fin, le lecteur ne perd pas le pied une seule fois. Bien sûr, il y a quelques touches de fantaisie, des mots qui sont malmenés, un anglais phonétique qui surgit de temps en temps (et c'est délicieux : imaginez Lehameau, tentant d'engager la conversation avec Helena, à coups de "Zey lâffe, bicose zey dou notte undèrstande.", et regardez Helena, qui se tourne vers lui et qui lui répond sereinement : "Je parle français"). Un rude hiver est un beau et doux roman, à la fois fantaisiste dans certaines situations, et terriblement mélancolique - il n'était pas rare que je sois partagée entre l'amusement et la tristesse, parce que Lehameau est un personnage attachant, fragile mais vivant malgré tout. Sa tristesse fait partie de lui, on ne l'imagine pas autrement, et d'un autre côté, il parvient quand même à tenir bon, toujours. Sans trop savoir pourquoi, peut-être. Juste parce qu'il le faut, sans doute. Si la guerre ne l'a pas tué, c'est qu'il doit y avoir une raison.
Les personnages autour de lui sont aussi marqués par la vie, par la solitude ou le froid. Cela donne des dialogues touchants, où chacun attend quelque chose (même si ce *quelque chose est souvent lié à la fin de la guerre). Le roman est court (moins de 200 pages) mais il s'en dégage quelque chose de fort, notamment sans doute grâce à sa construction, où chaque chapitre représente une petite séquence de vie : Lehameau qui discute avec la libraire, Lehameau qui rencontre les enfants ou qui, encore, se promène avec la belle Héléna, le coeur gonflé d'espoir... Tout cela se déroule sur une période très courte, aux alentours du 21 décembre, mais on sort de cette lecture comme si on connaissait nous-mêmes les différents personnages, comme si ces quelques fragments permettaient de les apprivoiser, de les comprendre.
Un rude hiver est un très beau roman, teinté de gris; Queneau nous présente la vie dans ce qu'elle a de plus simple et de plus tragique, et l'on sort de là avec un pincement au coeur, mais aussi avec le doux bonheur d'avoir rencontré ces quelques personnages.

« Même pour s'embrasser, il fait très froid. Leurs lèvres se séparent et le vent glisse entre leur visage comme un couteau. Il lui dit, je vous aime Helena, venez chez moi, vous ne voulez pas venir chez moi ? c'est très raisonnable, il fait si froid. Mais non, elle ne veut pas venir chez lui. Il fallait s'y attendre, il juge sa demande brutale. Mais pourquoi ne veut-elle pas venir, il le lui demande. Elle ne répond pas à sa question, mais c'est elle qui maintenant dit, je vous aime, et qui l'embrasse. Il ferme les yeux et ses doigts se crispent sur le drap de l'uniforme. C'est très beau tout ça mais ne couchera-t-il donc jamais avec elle jamais jamais jamais. Leurs lèvres se séparent et le vent glisse entre leurs visages comme un couteau. »

(là, normalement, j'ouvre une parenthèse pour excuser la mauvaise qualité de ce billet)

Rose et Levraoueg l'ont lu aussi, et en parlent très bien.

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Commentaires
Z
slut ca va si moi zouhir larbi je veux parler avec responsable de militair francaise.<br /> je veux l'archive de mon grandpere belabaas abd kader dans la 2'em guerre mondial nourmandie
E
Rose, je retiens ce bon conseil, je sais que je peux compter sur Levraoueg et toi si je veux retenter l'aventure Queneau (et ça devrait se faire cette année, normalement !) :-)
R
Ravie qu'il t'ait plu ! C'est vrai que c'est un Queneau linguistiquement assez austère, mais il y a pas mal de romans où la langue est peu "malmenée" et qui pourraient te plaire ;)
E
Levraoueg, tu as sans doute raison ! Les Queneauphile sont partout :-)
L
Je me disais justement en lisant ton blog-it, que l'internaute amateur de "oui oui chu merry christmas" devait être un disciple de Queneau !
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