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N.u.l.l.e.
12 janvier 2009

Lire n'est pas sans danger

Il était une fois l'un des livres les plus lus de la blogosphère...

Le treizième conte
de Diane Setterfield (2006)
traduction de Claude et Jean Demanuelli (traduire en couple, c'est beau !)
Plon, 2007

http://accel21.mettre-put-idata.over-blog.com/0/25/43/85/couv-romans-fr-07-2007/treizi--me-conte.jpg

Pour moi, tout a commencé avec l'épigraphe (car je ne sais pas lire intégralement une quatrième de couverture, c'est un problème pathologique qui remonte à ma triste enfance), qui raconte ceci :

« Tous les enfants construisent un mythe autour de leur naissance. C'est là un trait universel. Vous voulez comprendre quelqu'un ? Son cœur, son esprit, son âme ? Demandez-lui de vous parler de sa naissance. Ce que vous obtiendrez ne sera pas la vérité, mais une histoire. Et rien n'est plus révélateur qu'une histoire. »

Ces quelques mots étaient signés Vida Winter; ils sont tirés des Contes de la métamorphose et du désespoir.
Je me suis dit que je devais absolument lire ce livre-là - jusqu'à ce que je me rende compte, quelques pages plus tard, que cette épigraphe était en fait écrite par un des personnages du roman; autant dire que ces Contes métamorphosés, je pouvais toujours courir pour les lire. La vie est cruelle. Mais moi, je ne le suis pas, c'est pourquoi je vais enfin me décider à vous parler de ma première lecture de l'année.

Cela démarre dans le lieu où je rêve de vivre : une vieille librairie d'occasion, fréquentée par les plus assidus et les plus curieux. Un refuge où l'on peut se cacher derrière les grands romans victoriens, un îlot où l'on se sent à l'abri des tempêtes extérieures.
(le rêve)
C'est là que vit Margaret, une jeune femme un peu sauvage, qui n'aime rien de plus que lire. Elle tient la librairie avec son père, tandis que sa mère se consacre à son chagrin, ailleurs, dans sa maison. Quelle douleur, en effet, d'attendre deux enfants et d'en perdre un après sa naissance...
Mais l'on peut pas se cacher éternellement; c'est ainsi que Margaret reçoit un courrier de Vida Winter - ce nom ne vous dit probablement rien (à part si vous avez lu le début de mon billet, ce dont je ne doute pas, vous êtes si mignons !) et derrière ce pseudonyme se cache pourtant l'une des plus grandes romancières anglaises. Celle-ci commence à vieillir... et elle ressent la fatigue du mensonge : pendant toute sa carrière, elle n'a jamais répondu sérieusement aux questions des journalistes. A chaque fois qu'on lui demandait d'où elle venait, quelle enfance elle avait eue, elle inventait une nouvelle histoire. Après tout, un romancier est là pour (ré)inventer, n'est-ce pas ?
Mais ça y est; elle veut bien dire la vérité. Pour cela, elle souhaite que Margaret vienne l'interroger chez elle, afin d'écrire sa biographie.
Margaret accepte (et ça rime, c'est chouette).
Seulement, on ne s'enfonce pas sans risque dans les profondeurs anglaises; que va-t-elle rencontrer dans l'immense demeure de Miss Winter ? Méfions-nous des tapis et des coussins qui étouffent les pièces, que peuvent-ils assourdir ? Les chants des fantômes, les cauchemars du passé ? Petit à petit, Margaret plonge dans la vie de la romancière, une vie faite d'ombres, de peur et de mort... une vie fusionnelle avec sa jumelle, une vie sauvage, anéantie un soir par un grand incendie... Et Vida Winter de livrer des souvenirs qui réveillent bien des douleurs...

Je reste volontairement confuse pour les chanceux qui n'auraient pas encore découvert ce livre... Il débute comme le premier opus d'Amélie Nothomb. Mais, si ! Hygiène de l'assassin racontait l'interview-vérité d'un vieil écrivain agonisant, qui acceptait enfin de raconter les démons de son passé... évidemment, Diane Setterfield n'écrit pas comme Amélie Nothomb, et son intrigue se développe d'une toute autre manière. Ici, la lecture et les livres ont une place prépondérante - notamment parce que Margaret est libraire et parce que Vida est romancière, mais parce qu'elles sont aussi toutes les deux de grandes lectrices, et plus particulièrement des lectrices victoriennes... On ne compte pas les allusions directes à Jane Eyre (j'ai même cru un moment que Setterfield était une héritière des Brontë, c'est incroyable de citer autant une œuvre, surtout si on n'y gagne aucune compensation financière), à Dickens, à Wilkie Collins... Essayez de lire ce roman sans avoir envie de vous plonger ensuite dans l'époque victorienne - vous n'y arriverez pas !
On suit les tribulations de Margaret, car celle-ci ne se contente pas d'écouter Vida Winter; au contraire, elle voyage, retourne là où a grandi Vida, y rencontre d'ailleurs des personnages extraordinaires... C'est un roman envoûtant, dans une veine romanesque absolument délicieuse. Diane Setterfield tente d'écrire en dehors du temps : bien que l'histoire se passe à notre époque, il n'y a pas de téléphone portable ni de mail. Les gens communiquent par lettre, on ne prend pas l'avion mais le train, ainsi la fiction grandit dans un univers ouaté, réconfortant. Il y a deux aspects dans l'intrigue; d'abord la grande histoire menée par Vida Winter, où l'on croise des fantômes, des secrets, un médecin et une gouvernante qui tentent d'éduquer les folles jumelles... Puis il y a la réalité terre-à-terre ou, comment dire... il y a les peurs réelles, les chagrins qui consument les personnages. Je pense notamment à la mère de Margaret, qu'on croise peu, mais qui est très touchante : c'est une femme fatiguée, qui n'a jamais réussi à faire le deuil de son enfant perdu, mais qui veille malgré tout à sauver les apparences (sauf que personne n'est dupe) :

« Pendant le thé, ma mère parla avec une certaine bonne humeur, un petit sourire crispé aux lèvres: du jardin du voisin, des travaux qu'on faisait en ville, d'un nouveau parfum qui lui avait provoqué une allergie. Propos creux, destinés à tenir le silence à distance, ce silence où vivaient ses démons. C'était une belle prestation: rien là qui trahît le fait qu'elle supportait difficilement de sortir de la maison, que le moindre événement un tant soit peu inattendu lui donnait la migraine, ou qu'elle était incapable de lire un roman par peur des émotions qu'elle risquait d'y trouver. »

Un beau personnage, vraiment... parmi les secondaires, il y a aussi Aurelius mais chut, je ne dirai rien sur lui...
Le treizième conte mélange beaucoup de thèmes, comme l'écriture, la folie, l'enfance et ses pouvoirs (maléfiques ou non), la famille (en ce qu'elle nous construit, nous donne une identité propre - ou non...), la lecture qui sauve et protège, la mort, la rédemption... C'est foisonnant, mais toujours maîtrisé, et l'auteur ne se perd jamais dans son intrigue. Puis vient le moment où le cœur se met à battre plus vite, on a peur de comprendre, on ne peut plus arrêter de tourner les pages, on est embarqué, follement embarqué, dans une sombre et passionnante aventure... Tentez-la, si vous n'avez pas encore succombé. Le treizième conte, véritable chocolat chaud, stimule l'imaginaire et donne envie de lire; ça suffit à le rendre (presque) indispensable, non ?

« Quand je reviens à moi, le docteur Clifton était à mon côté. Il m'entoura les épaules de son bras. « Je sais, me dit-il, je sais. »
Il ne savait pas, bien sûr. Pas vraiment. Et pourtant, ce sont là les mots qu'il prononça et qui m'apaisèrent. Car je comprenais ce qu'il voulait dire. Nous avons tous nos peines, et même si leur contour, leur poids et leur étendue sont différents pour chacun d'entre nous, la couleur du chagrin est la même pour tous. « Je sais, dit-il, parce qu'il était humain, et c'est pourquoi, d'une certaine manière, il savait. »

Quand je disais que tout le monde l'avait lu, ce n'était pas un mensonge : Fashion Allie Lilly Cathulu Praline Clarabel Papillon Cuné Emeraude Laure Karine Brize Lou (entre autres !) ont succombé...

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Commentaires
C
Figure-toi que je pars en week-end avec ce roman-là. :-)))
E
Oh merci, Grominou ! <br /> Et encore un scandale, j'ai oublié ton billet, je répare ça rapidement ! Ce livre a enchanté tellement de lecteurs...!
G
Billet superbe sur un livre superbe!
E
Caro[line], j'ai procédé à l'inverse de toi, mais depuis que j'ai lu ce bouquin, je lorgne encore plus sur mon exemplaire de "Jane Eyre", vivement que j'aie le temps de le lire ! :-)<br /> <br /> Lou, hum, merci de me rappeler subtilement que j'ai oublié de mettre un lien vers ton billet ! Et je n'ai pas S. Meyer non plus, mais protégeons-nous, tant que nous le pouvons encore, contre cette nouvelle addiction littéraire ! :-)
L
Je croyais que tout le monde l'avait lu... mais après tout, je n'ai pas lu Stephenie Meyer alors qu'on le voit partout aussi ;o) Je suis contente de voir que tu as aimé !
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