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N.u.l.l.e.
11 février 2009

Un vide désespérant

19027674_w434_h_q80Ce qui différencie Frank et April des autres, c'est qu'ils ont mis du temps avant de réaliser qu'ils étaient finalement comme tous ceux qu'ils côtoyaient. Quand ils se sont rencontrés, April rêvait d'être actrice, Frank enchaînait les travaux alimentaires en attendant de trouver ce pour quoi il était réellement doué.

Combien d'années passent, sept, huit ?
April vient de monter sur scène pour la première fois. A la fin de la représentation, elle est en larmes. April ne sera jamais une grande actrice - elle est trop mauvaise pour ça.
Frank et elle sont mariés. Ils ont deux adorables petits enfants. Ils vivent dans une banlieue propre. Coincés dans leur époque (les années 50, en Amérique), Frank doit faire comme des millions d'hommes : porter son borsalino (hein oui, son chapeau s'appelle comme ça ?), prendre le train, rejoindre son box au quinzième étage d'une grande firme. Son travail ne lui plaît pas - qui pourrait s'épanouir dans ce quotidien étriqué, étouffant, qui annihile tout rêve, tout espoir ?
Pendant ce temps, April doit se résigner. Apprendre à étouffer sa soif de vivre. Elle ne quitte pas son tablier, sur lequel elle essuie ses mains quand elle cuisine, quand elle jardine, quand elle pleure.
Ils s'aiment, pourtant. Mais leur bonheur n'est plus possible sous ce couvercle oppressant des conventions (ah ! une cloche de verre - une cloche de détresse...).
C'est alors qu'April, dont les yeux brûlent encore d'espoir, soumet un projet fou : tout quitter, et partir vivre à Paris. Elle y travaillerait, pendant que Frank chercherait et développerait ses propres talents. Leur entourage les regarde en souriant gentiment. Ils ont l'air illuminé. On ne brise pas aussi facilement les barrières qu'on a dressées, des années durant. Mais April et Frank veulent éviter la noyade...

dreaming

Les Noces Rebelles (de Sam Mendes) est une adaptation cinématographique du roman de Richard Yates, La fenêtre panoramique (les deux - film et livre - portant le titre de Revolutionary Road en version originale). Tout le monde a entendu parler de ce film - imaginez, dix ans après Titanic, les retrouvailles sur grand écran de Kate Winslet et de Leonardo DiCaprio ! Mais ce détail tient plus de l'anecdote, alors ne nous éternisons pas là-dessus...
N'ayant pas pris le temps de lire le roman, je ne parlerai que du film - et pourtant, si l'on en croit
Amanda, le livre est presque incontournable...
Cette histoire nous confronte à des interrogations que nous rencontrons tous, j'imagine, à un moment de notre vie. Est-il possible de se laisser couler dans le quotidien sans jamais rêver d'autre chose - autre chose de mieux, bien sûr ? On est tous amenés à regarder en arrière, à ouvrir une vieille boîte de photographies, et à dresser ce triste constat : qu'avons-nous fait de nos rêves, de nos promesses, de notre bonheur de vivre ?
l_o Kate Winslet et Leonardo DiCaprio incarnent un gentil petit couple rangé, mais qui suscite quand même l'admiration de ceux qui les cotoient - notamment leurs amis Milly et Shep, qui connaissent le même destin (l'homme travaille - la femme élève les enfants dans sa banlieue tranquille) mais qui évitent de se poser trop de questions. Il semblerait que Frank et April soient plus fougueux, moins domptables; il reste une petite lueur, au fond d'eux, qui ne souhaite qu'une chose : fuir, et tout recommencer... Le risque étant de trouver une herbe aussi triste ailleurs, car même en quittant tout, on part avec nos propres tares, nos failles et nos espoirs démesurés... Pourquoi la vie serait différente à Paris ?
Ce film est une réussite absolue; une nouvelle fois, Sam Mendes décortique le quotidien des banlieues américaines aisées (en espérant que tout le monde a vu et revu cette merveille qu'est American beauty) et ce qu'on découvre derrière le vernis n'est pas joli-joli... Frustrations, regrets, résignation, colère étouffée... A quoi bon vivre ainsi ?, pense April. L'étude psychologique est très habilement amenée; on suit véritablement les errances des personnages, on souffre avec eux de leurs échecs. On les comprend quand ils crient, on les comprend quand ils rêvent. Evidemment, rien n'est simple, même quand on décide de changer. Il faut tellement de courage pour partir... Et tellement, aussi, pour rester.
KW_1 Kate Winslet est superbe; rarement maquillée, son visage exprime d'autant plus sa lassitude. Mais ses yeux ne s'éteignent pas; on sent qu'elle brûle encore et toujours, intérieurement. Leonardo, lui... je trouve qu'il a vieilli, et comme ça lui va bien ! Il s'est étoffé, ces dernières années. Il m'a mis les larmes aux yeux plus d'une fois. Le portrait de ce Frank est si juste, et si magnifiquement incarné... Ce n'est rien qu'un homme qui essaie de s'en sortir, tout en voulant préserver son amour, sa famille.
Tout contribue à la crédibilité de l'histoire; l'image, les costumes (comment peut-on être heureuse dans une vieille robe fleurie, de toute façon ?), la musique... les personnages qui entourent ce couple à la dérive, aussi. J'ai déjà vaguement mentionné Milly et Shep, parce que je les ai trouvés très émouvants, très beaux. Puis il y a John Givings, un trentenaire interné parce qu'il est fou. Mais sa mère veut l'aider à s'en sortir, et l'amène à dîner chez Frank et April... Seulement, John n'a rien du fou - il est au contraire extrêmement lucide sur la vacuité du monde, sur le désespoir de nos vies, sur la résignation qu'il faut atteindre pour supporter un quotidien banal (voire médiocre). Mais il n'est pas bon d'exprimer ces choses-là haut et fort, de ne rien cacher sous la fameuse bienséance. John est ravi quand le jeune couple décide de partir... Il représente la clairvoyance tout en ayant conscience que même elle est vouée à l'échec.
On sort de la salle un peu ébranlé; c'est un film qui prête à la réflexion, mais qui a envie de se poser des questions aussi sérieuses ? Les réponses pourraient être effrayantes.
Les noces rebelles est une oeuvre précieuse, bouleversante et magistralement orchestrée. Allez au cinéma, lisez le roman. C'est bon d'être bousculé.

Brize a aussi aimé cette adaptation - par pure fainéantise, je ne liste pas celles et ceux qui ont lu le roman, en espérant que personne ne m'en voudra...!

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Commentaires
E
* Titine, je suis ravie que tu partages mon avis ! Le livre est paraît-il encore plus fort, je risque de me laisser tenter moi aussi...<br /> <br /> * Co, comme tu as raison ! Je n'avais pas réfléchi à sa carrière, mais c'est vrai qu'il n'est jamais tombé dans la facilité, ce qui est somme toute assez courageux... Je n'ai pas vu "Les infiltrés", il faudra que j'y remédie !<br /> <br /> * Fashion, quel plaisir de voir que tu as aimé ! J'ai presque envie de te remercier d'être allée le voir, tiens ;-)<br /> (je suis sentimentale, le samedi matin)<br /> <br /> * Esis, quel commentaire... Comment parviens-tu à exprimer aussi justement ce que tu ressens ? <br /> Je suis entièrement d'accord avec toi; si avec ça, tu ne convaincs pas les derniers réticents, on ne peut plus rien faire...!<br /> Merci :-)<br /> <br /> * Mo, oui, voilà, ce n'est pas le genre de film qu'on doit aller voir "comme ça", pour passer le temps, sans grand enthousiasme... Donc c'est une bonne chose que tu ne te sois pas "forcée" à sa sortie ! Et à Paris, oui, tu pourras peut-être encore trouver des salles qui le diffusent...
M
Esis, tu me fais méchamment regretter de ne pas avoir eu envie de voir le film à lasortie!! Peut-êter que je ne suis plus toutà fait dans lamêmehumeur... Et avec un peu de chance, je pourrai le voir en mars!
E
Bonsoir Erzébeth !<br /> <br /> J'ai eu la chance de voir ce film en VO fin janvier, dans le 92. La place m'était offerte :) .<br /> <br /> Je te rejoins ainsi que certaines de tes lectrices quant à la réalisation : elle est académique et froide, mais excelle dans son niveau. Cela peut-être frustrant. Cela dit, j'ai ressenti que c'était volontaire de la part de Mendes : avec cette sorte de mise en abyme, il nous plonge dans un angoissant tourbillon, celui du vide, du trivial, du quotidien formaté, qui est d'autant plus terrible pour April qu'elle rêve de mener une vie absolue, poétique, mais qu'elle n'y parvient pas.<br /> Donc, la réalisation est pour moi un point fort. Ensuite Winslet et DiCaprio confirment qu'ils sont de grands comédiens : ils jouent des personnages pathétiques, affreusement réels, des personnages banalement ordinaires ; Franck est un (peu) beauf par moment. Winslet n'est presque pas maquillée, DiCaprio a grossi et perdu de sa beauté... Ils ne jouent pas Franck et April : ils sont Franck et April, des personnes lambda. C'en est même effrayant tant le réel leur colle à la peau et tant ils collent au réel. Je ne pense pas que beaucoup de comédiens soient capables d'arriver à ce niveau-là, à ce niveau d'immanence, de désacralisation (car le couple mythique et divin qu'ils formaient dans Titanic est à l'opposé du couple Wheeler) et de mise en péril de leur image. Chaque comédien du film incarne son personnage avec intensité et modestie.<br /> <br /> J'avais ébauché une longue réflexion psychologique sur un forum, qu'il me faudrait reprendre et améliorer pour poster sur mon blog. Puis je voudrais mettre le film en rapport avec Madame Bovary :) . <br /> Ce n'est pas un film romanesque ; ici, Sam Mendes nous montre la désillusion dans ce qu'elle a de plus froid, de plus irréversible, de plus cruelle. Aucun mensonge romanesque ne peut venir colorer cette désillusion et la rendre moins atroce, ou plus poétique ou onirique.<br /> <br /> C'est un film riche et intense.
F
Ayé, je l'ai vu : c'est vraiment un beau film. La réalisation n'est pas trop académique, ça va (en tout cas, on s'en remet:))).
C
Ah mais j'ai été ravie de voir que tu lui rendais honneur :) Mais c'est vrai que les médias ont beaucoup parlé de Kate, et un peu moins de lui...Comme toi, je l'ai trouvé excellent (et assez flippant) dans "Aviator", film pour lequel il aurait largement mérité un prix, et plus récemment dans "Les Inflitrés". Quand on pense qu'après Titanic on lui a sans doute proposé des tas de comédies romantiques, il a vraiment fait de bons choix de films par la suite.
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