« Le temps ne guérit pas la moindre blessure »
Après le plaisir ressenti en découvrant l'inspecteur Erlendur dans La Cité des Jarres, il était légitime de faire plus ample connaissance avec lui, en lisant le volume suivant de la série :
La femme en vert
d'Arnaldur Indridason (2001)
Ed. Métailié, 2006 - traduction d'Eric Boury
Quand on lit la quatrième de couverture de ce roman, on se demande comment il peut trouver acquéreur. On nous y explique qu'un bébé, tranquillement installé chez lui, est surpris en train de machouiller un os humain. Personnellement, je trouve ça répugnant, mais évidemment, pour qu'une telle mésaventure ne m'arrive jamais (rassurez-vous, je ne suis pas enceinte. J'en suis la première soulagée, d'ailleurs), j'ai voulu lire le roman, et comprendre ce qu'il fallait faire pour qu'aucun os ne se retrouve chez moi sans mon accord.
...
L'os appartenait à un corps qu'on découvre sur la colline la plus proche. Qui a été enterré aussi négligemment, et quand ? La sépulture ne date pas d'hier, en effet. Erlendur se lance dans une enquête obscure, où les indices manquent considérablement. Remontant jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale, il apprend qu'une famille étrange vivait dans les parages...
Vous avez peut-être déjà remarqué dans le passé que je ne suis pas particulièrement douée dans la présentation de policiers. J'ai trouvé une excuse (à vous de dire si elle est bonne) : c'est que je veux en dire le moins possible, parce que je trouve ça fort fâcheux de lire trop d'indices dans un billet (dans la presse, etc...). Mais ma présentation pitoyable ne m'empêche pas de vous dire à quel point ce second opus est bon et enrichit considérablement la première enquête. La Cité des Jarres était d'un glauque terrible - l'Islande boueuse, la pluie, cette tombe de petite fille, la drogue, tout est là pour enfoncer profondément le lecteur (mais c'était bien fait, que les choses soient claires). Ici, c'est loin d'être rose, mais il me semble que le glauque a laissé place à la violence. Je ne peux pas trop révéler pourquoi, mais les différentes intrigues qui se mettent en place (ce portrait de femme qui tente de fuir un mari violent, le présent secoué d'Erlendur, le passé monstrueux qui refait surface avec le cadavre) sont autant de claques que se prend le lecteur. C'est bon, c'est noir, c'est triste, ça donne envie de détourner la tête pour ne pas sentir concerné par l'histoire, et en même temps, on veut tellement savoir, tellement comprendre...
L'un des points forts de La femme en vert tient aussi dans les pages consacrées à Erlendur : le personnage était quand même bien présenté dans le premier roman (un inspecteur divorcé, solitaire, déprimé et déprimant, qui entretient des rapports très tendus avec sa droguée de fille), mais son portrait se peaufine, s'approfondit, et quelques pages en sont presque émouvantes. Son désespoir est expliqué par petites touches (même si, parfois, on comprend certains faits avant qu'ils ne soient clairement écrits, mais peu importe), tout cela "grâce" à sa fille, enfoncée dans le coma - un des médecins explique qu'entendre une voix familière peut avoir des conséquences (positives) sur son triste état. A force de lui exposer ses doutes et ses souvenirs, Erlendur s'interroge sur sa vie et l'on sent sa carapace se fissurer (en supposant qu'elle ne l'était pas déjà). J'insiste sur ce point uniquement pour éviter de trop parler de la mystérieuse enquête; sachez simplement qu'elle est admirablement construite, qu'elle tord le ventre, et qu'un magnifique suspense est instauré jusqu'aux trois quarts du livre. En effet, il faut pratiquement 300 pages avant que le cadavre ne soit réellement déterré (et le total ne fait que 347 pages) et pendant tout ce temps, différentes pistes sont envisagées, et chacune paraissant tellement justifiée qu'on doute...
C'est un bon roman; d'un autre côté, le chagrin d'Erlendur et la noirceur de son enquête pouvaient difficilement me déplaire... Indridason fait tout pour déranger le confort de son lecteur et, comme pour le remercier d'avoir continué la lecture malgré les drames racontés, il lui offre une fin un peu moins amère qu'on aurait pu le croire...
D'autres lectrices conquises : Fashion, Tamara, Laure, Ys, Papillon, Clarabel...