De bibliotheca
(épisode 1 ?)
Aujourd'hui, mon abonnement à la bibliothèque expire, et je ne le renouvellerai pas. Vous me rétorquerez qu'il n'y a pas de quoi en faire un billet... alors que s'il y a bien un endroit où on peut raconter tout et n'importe quoi (surtout n'importe quoi), c'est bien Internet. Dont acte.
Petite, j'étais inscrite à la bibliothèque municipale de ma petite ville; j'adorais cet endroit, où le secteur jeunesse était mis en valeur avec des couleurs, des gros poufs, des coussins où on s'asseyait pour lire tranquillement le dernier Tom-Tom et Nana. A force, les bibliothécaires me connaissaient; m'autorisaient à dépasser la limite habituelle d'emprunt (il faut gâter les enfants qui aiment lire).
Je ne sais plus ce qui m'a poussé à ne plus y aller, un jour. Qu'importe. J'ai fréquenté d'autres bibliothèques, dans d'autres lieux. Celle de C*** m'impressionnait par ces portiques antivol (la première fois que je devais en voir dans un tel lieu, sans doute). J'ai emprunté L'amant de Marguerite Duras à la bibliothèque de M***. Je ne m'en suis jamais remise.
Puis l'année dernière, je me suis dit qu'une demoiselle qui voulait travailler dans le milieu ferait quand même bien de s'inscrire à la bibliothèque de sa ville. Ca pourrait être pas mal, comme premier pas.
La médiathèque de la Ville Rose (on sait tous dans quel coin j'habite, je n'ai pas besoin de vous le réécrire clairement) est une énorme machine. Pour expliquer un petit peu (et je ne parle que de la médiathèque, pas des bibliothèques de quartier), ils ont décidé de séparer les prêts et les retours d'ouvrages. Sans doute pour des questions de gestion, de pratique, d'efficacité. Ce qui était étonnant dans le concept, c'est que les endroits où on enregistrait les prêts avaient été clairement conçus sur le modèle des caisses de supermarché. Le gentil bibliothécaire (oui ! il y a des hommes là-bas ! pas autant que des femmes, mais ils sont là malgré tout !) est assis derrière son petit écran d'ordinateur et son bip, il passe l'article, pardon, le livre (ou le disque, ou le film, ou la revue, ou...), cela s'enregistre et, devinez ce qui sort de tout ça ? Un ticket de caisse. Où sont répertoriés tous les documents qu'on a empruntés (ce jour-là et les jours précédents s'il y a lieu; c'est un vrai récapitulatif de tout ce qui est enregistré sur notre carte d'emprunt). C'est sûr, c'est efficace; pas besoin de tamponner chaque livre ou de dire à haute voix les dates de retour, tout est marqué sur le ticket.
Je n'aimais pas trop passer à la caisse à chaque fois que j'allais là-bas. Mais dire bonjour au bibliothécaire présent, l'entendre me conseiller tel bouquin en relation avec celui que j'ai en main, ça, j'aimais bien.
En janvier, cela a changé. Ils sont passés à la RFID. Alors, brièvement (et grossièrement) : la Radio Frequency IDentification est un système électronique vachement pratique pour la gestion des fonds d'une bibliothèque, notamment au moment de l'inventaire (avant, et je parle d'il y a quinze, vingt, trente ans, il fallait sortir chaque livre des rayons, vérifier son numéro de référence, cocher sur notre petit cahier afin de confirmer sa présence dans la bibliothèque, et passer au suivant - il fallait bien voir ce qui avait été mal rangé, volé... Maintenant, avec la RFID, tu passes ta machine devant le rayon, elle lit tous les livres présents sans que tu les sortes, et tu gagnes un temps fou). Le lecteur se fiche un peu de tout ça, la nouveauté pour lui, avec la RFID, ce sont les automates. C'est-à-dire que le lecteur est une grande personne (si, si), alors il prend ses petits livres et les enregistre lui-même sur sa carte, et les rend de la même manière, face à un écran d'ordinateur et un rayon laser. Drôlement astucieux, n'est-ce pas ?
A la médiathèque dont je parle, ils n'ont installé des automates que pour le prêt (ceci dit, avant la RFID, il y avait déjà des automates, mais, aux heures où je fréquentais les lieux, je n'ai jamais vu personne s'en servir). Pour le retour des livres, ils ont laissé des vraies personnes : c'est qu'il faut vérifier l'état des documents, quand même...
Un conservateur de cette bibliothèque a expliqué que le système de prêt avait été mal conçu à l'origine (je ne lui fais pas dire), et que le genre "caisse de supermarché" avait des répercussions physiques sur les employés. Soit. Il suffisait de mettre les mêmes bureaux qu'à l'endroit des retours, où, curieusement, l'agencement était différent (et donc beaucoup plus agréable et malléable). Mais ce même conservateur a jugé que le contact humain, au moment du prêt des documents, était inutile. Que ça ne valait rien.
Entendre une bêtise pareille ne m'a pas fait plaisir. Pour travailler en bibliothèque, je peux vous dire que les usagers discutent plus facilement quand ils viennent emprunter des bouquins, que quand ils les rendent (là, ils sont pressés, ils laissent tout et filent. Ok, bonne journée à vous aussi, hein !). C'est aussi l'occasion de poser des questions, de demander un conseil, d'avouer qu'on n'a pas trouvé tel livre, vous savez quand est-ce qu'il est censé revenir en rayon ?
Ce système d'automates, en plus d'être froid et inhospitalier, va clairement supprimer des postes à la longue. Certes, l'investissement initial (équiper tous les ouvrages d'un système électronique, acheter le matériel adéquat, etc) est colossal quand on opte pour la RFID, mais cela doit rapidement devenir rentable pour la bibliothèque. Ça fait moins de personnel à recruter, à former, à payer. Chic.
Personnellement, en tant que lectrice, ce n'est pas ce que j'attends d'une bibliothèque; pourtant, Dieu sait comme je suis misanthrope et timide, mais je préfère mille fois tendre mes livres à une personne réelle qu'à une machine qui ne me sourit pas une seule fois.
Ensuite, en tant que futur personnel titulaire de bibliothèque (tout le monde a le droit de rêver, oh ! Ce n'est pas parce que j'ai tout raté cette année que ça n'ira pas mieux l'année prochaine, non mais), je me dis que ce genre d'outil (la RFID, donc) n'est qu'un pas supplémentaire vers la chute des bibliothèques (vous savez, de moins en moins de personnel alors qu'on veut augmenter les horaires d'ouverture, recrutement de contractuels et de vacataires au lieu d'ouvrir plus de postes aux concours, manque d'investissement de la part des communes (ou des universités), etc...). Et parfois, ça me fait un peu peur.
C'est une des raisons qui font que je ne me réinscrirai pas (du moins, pas tout de suite - on peut parier que dans quelques mois, j'y retournerai la bouche en cœur), l'autre étant que, sapristi, je passe déjà ma semaine en bibliothèque (universitaire), alors si c'est pour me farcir la municipale pendant mes heures de repos, ah non merci... Je sature, là. Des livres, des rayonnages, des code-barres et du filmolux, j'en vois assez du lundi au vendredi (rarement le samedi, oui, mais c'est parce que je suis une sale privilégiée).
Je voulais aussi parler du catalogue informatisé de la bibliothèque municipale, mais je crains de pousser mes rares lecteurs au suicide, alors je garde ça pour un prochain billet.
Papillon a évoqué la RFID dans un billet ô combien intéressant, qui a généré d'ailleurs des commentaires passionnants - d'une manière générale, les lectrices de bibliothèque semblent s'offusquer de ce système informatique, et quelque part, ça me rassure.
Je ne suis pas sûre que mon déballage apporte la moindre goutte d'eau au moulin, d'autant plus que ça ne donne pas tellement envie d'aller à la bibliothèque, pas vrai ? Alors que c'est bien, pourtant. Je vous le prouverai une autre fois.