mercredi 27 mai 2009
« Le ciel devait pleurer quelque chose. »
La gueule du loup
de Nadia Gosselin (2008)
Guy Saint-Jean éditeur
C'est grâce à Cuné que j'ai pu lire ce roman - son billet m'avait fortement intriguée, parce que je me demandais (entre autres) comment on pouvait faire de la littérature avec un sujet aussi... trivial.
Il faut savoir qu'Internet est ce que je préfère au monde (avec la glace à la menthe, le rose et deux ou trois autres petites choses), mais je ne voyais pas comment on pouvait aborder une rencontre virtuelle et amoureuse dans un roman. Je trouve cela inesthétique d'un point de vue littéraire.
Mais en fait, dans La gueule du loup, c'est encore pire que ça.
La narratrice (dont je ne me souviens pas du prénom, uniquement le surnom : Loulou) est une jeune mère et épouse vivant au Canada. Vingt-huit ans, trois enfants (!), un mari dont on ne saura rien... et un amant virtuel, Edy, un homme qui la fait outrageusement fantasmer via une correspondance mailesque bouillante.
Il a trente ans de plus qu'elle, et vit en Belgique.
Je ne sais pas si vous avez déjà essayé de contenir un élan passionnel, mais sachez-le : c'est impossible. C'est pourquoi Loulou plonge vers l'inconnu (comprenez : elle prend l'avion) pour rejoindre son loup belge (il adore les loups, c'est comme ça; c'est expliqué dans le livre, mais ne croyez quand même pas que je vais vous faire une présentation exhaustive des faits !).
Seulement, l'idylle s'achève dès que la narratrice entraperçoit Edy. Elle voudrait même repartir de suite. Il est vieux, maigre, malade (elle le savait, mais enfin, il fait peine à voir), désagréable. Son appartement est dans un état nauséabond.
Lui, forcément, trouve que Loulou est charmante, et il aimerait concrétiser tous les mails amoureux qu'il lui a écrits.
Las.
Parce que Loulou est censée rester quinze jours sur place (sans pouvoir rien y changer : c'est quand même Edy qui a payé l'avion...), ils vont tenter de cohabiter, et ce malgré leurs humeurs incompatibles.
Et c'est là qu'à mes yeux, les choses se gâtent. J'ai eu une aversion terrible pour la narratrice, qui me semblait totalement incapable d'adopter une attitude cohérente. Il y a certes le malaise du début, la déception, l'envie de fuir dans la minute, mais elle tente parfois de s'approcher d'Edy et ses manœuvres sentimentales (plus proches de la pitié de l'affection réelle) m'ont agacée. C'est une femme qui ne sait pas ce qu'elle veut, une gourde qui n'ose pas s'exprimer, une capricieuse totalement égocentrique. J'ai eu beaucoup de mal à comprendre son comportement... Edy n'est pas merveilleux non plus; c'est un vieux célibataire étriqué qui passe son temps à se plaindre de différents maux, un homme qui mord dès qu'il prend la parole, une personne si éloignée de son visage virtuel...
Le séjour est une suite de scènes effarantes, à cause de leur comportement respectif. Et même s'ils parviennent parfois à tisser des instants émouvants, cela ne dure jamais longtemps...
La relation qui les lie est excessivement bizarre; on sent malgré tout qu'Edy est un homme blessé, qu'il faudrait tenter d'apprivoiser afin de (re)découvrir sa nature plus... humaine. Mais il ne fait rien pour donner envie de le connaître...
Au final, cela donne un roman très curieux, indéfinissable. N'allez pas croire que les reproches (un peu durs ?) que j'adresse aux personnages reflètent mon sentiment global - je peux très bien aimer un roman où les personnages sont abjects...
Pourtant, j'ai eu du mal à comprendre le sens de cette histoire (en supposant qu'il y en ait un, car après tout, rien ne l'exige), et l'écriture un peu trop contemporaine de l'auteur empêche le récit de prendre un peu plus d'ampleur. La gueule du loup reste un roman énigmatique, que j'ai pris plaisir à lire, et qui m'a trotté dans la tête pendant un long moment (d'ailleurs, en écrivant ces bafouilles, je continue de me questionner). Quelque part, Nadia Gosselin a refusé de donner toutes les clés au lecteur, pour qu'il s'approprie lui-même cette triste expérience, et en tire les réflexions qu'il souhaite. Cette lecture me laisse en tête un certain agacement et une curiosité en partie inassouvie; et ce genre de ressenti est fort intéressant...
Merci à Cuné !
Frisette, Venise, Lucie et Anick en ont parlé aussi, avec des angles d'approche parfois différents, et fort complémentaires. Car, mine de rien, il y a beaucoup à dire sur ce roman...
Et comme ce roman est sorti en août 2008, je m'autorise à le glisser dans le Challenge du 1% littéraire...