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N.u.l.l.e.
22 juin 2009

« Vivre éternellement »

Contrairement aux apparences, je n'ai absolument pas oublié que je me suis engagée dans le défi Blog-o-trésors et qu'il me faut donc lire 4 trésors tirés de l'immense liste dressée par Grominou.
J'ai déjà lu cette année des romans présents dans cette liste, mais je ne les compte pas comme une réelle participation au défi, puisque j'ai de mon côté choisi très précautionneusement les 4 livres que je voulais lire en connaissance de cause, pour ce défi.
Et celui qui ouvre le bal, aujourd'hui, est :

Le maître des illusions
de Donna Tartt (1992)
traduction de Pierre Alien, 1993, ed. Plon

http://2.bp.blogspot.com/_AAy_xfnRO6U/RrtRZoXmb0I/AAAAAAAAAHM/ejOs0EUVJAo/s200/515ZKQZRT6L__SS500_.jpg

Moi qui m'étais promis de ne jamais lire cette romancière à cause de son nom de famille...
Ce gros roman (706 pages en broché, mais ce sont de gros caractères, et une écriture fluide) a pour cadre principal le campus d'une université américaine du Vermont, où un étrange professeur de grec ne choisit ses élèves que sur des critères totalement subjectifs.
Chaque année, ils sont au maximum cinq à pouvoir suivre son enseignement fort peu orthodoxe. Mais, alors qu'il a déjà constitué la liste des cinq élus, se présente un sixième candidat, Richard, un jeune Californien qui voulait fuir ce qu'il avait toujours connu.
Ainsi, cette année, ils seront six. Henry, Charles et Camilla (des jumeaux), Francis, Edmund et Richard.
Seulement, dès la première phrase, on apprend qu'Edmund est mort, et que sa mort n'a rien d'accidentel. Quels sont les liens qui se sont créés entre ces six personnes ? Pourquoi en sont-ils venus à tuer l'un des leurs ?
Richard, des années plus tard, raconte cette nébuleuse année universitaire, qui a gentiment détruit chacun d'eux.

Voilà donc l'habile construction du Maître des illusions : les étranges relations des différents personnages nous sont rapportées par l'un d'eux, et surtout par celui qui en sait le moins, ce qui accentue le côté mystérieux et inquiétant du récit. En effet, quand Richard arrive dans le Vermont, les cinq autres étudiants se connaissent déjà (ils suivaient déjà les cours de grec l'année précédente), et il doit se greffer à ce microcosme en tentant de s'y fondre le mieux possible. Il se rend vite compte qu'on lui cache des choses et que l'apparente étrangeté de ces jeunes n'est pas que le fruit de son imagination. Mais c'est justement cela qui devient attirant - ah, ces campus américains où l'on boit jusqu'à en crever, où l'on consomme de la drogue sans s'interroger sur sa provenance, où l'on retrouve dans le lit de la voisine sans savoir comment on a pu déraper ainsi... C'est mythique, c'est irrésistible - du moins à mes yeux. Décadent, auto-destructeur, puissant et attirant. Quand on choisit de fictionnaliser cet univers particulier qu'est un campus, on peut décider d'aller très loin dans la noirceur et le glauque. A ce point de vue, je trouve Donna Tartt relativement sage; je n'ai pas retrouvé ici les orgies de sexe et/ou de drogue dont un petit Bret Easton Ellis nous a régalés dans Les lois de l'attraction par exemple. Si j'évoque Ellis, ce n'est pas par hasard, mais parce que son nom est facilement associé à celui de Donna Tartt; au vu de ce que j'ai pu lire, pourtant, le rapprochement n'est pas des plus judicieux. Ellis me semble plus concentré sur le trash, et Tartt dans le romanesque sombre. A mes yeux, il y a une belle différence.
Dans un sens, Le maître des illusions est beaucoup moins sulfureux que je ne l'aurais cru, et cela s'est pratiquement transformé en déception. Il y a de quoi aller encore plus loin avec un tel sujet. Vous me direz, des rites dionysiaques, des jeunes qui se vautrent dans l'alcool, un petit meurtre involontaire, cela est déjà conséquent... et habilement mené, soyons honnête. Donna Tartt signe là son premier roman, et une telle maîtrise est à saluer. Il n'empêche que j'ai pris peur, à un certain moment de l'histoire, parce que tous les gros événements étaient arrivés et que je ne comprenais pas avec quoi l'auteur allait remplir les centaines de pages qui restaient. Mais, au fil de l'intrigue, les portraits des personnages s'affinent, et le thriller laisse place à une étude de caractères très intéressante. On découvre que les personnages sont comme atteints d'une gangrène intérieure qui leur fait perdre leur sang-froid et le sens de la réalité - au vu de ce qu'ils ont fait, on comprend qu'ils perdent pied... Ainsi, au moment où je craignais l'ennui, la romancière a su me captiver encore plus.
Je pourrais pourtant encore trouver quelques petits défauts, comme un petit manque d'effort au niveau du style (c'est que je suis difficile; mais je pense que le roman aurait eu encore plus de souffle si l'écriture avait été encore plus travaillée), ou comme la très faible présence du professeur de grec, Julian, alors qu'il est quand même le pilier originel de toute l'action. Il aurait mérité d'avoir un portrait encore plus ciselé, et d'être plus présent au fil de l'intrigue, pour renforcer son rôle capital. Sa présence clairsemée (et paradoxalement essentielle) est un peu frustrante.
Dans l'ensemble, je ne crois pas me fourvoyer de trop en pensant que Le maître des illusions est un très bon roman, un voyage dans les cerveaux torturés de quelques marginaux aux idées redoutables. On peut largement trouver plus noir, plus haletant, plus écoeurant, mais dans son registre, ce roman est une belle réussite. D'écrire ces quelques mots m'a même donné envie de le relire, c'est dire.

« Je déteste Gucci », a fait Francis.
« Vraiment ? » a dit Henry en sortant de sa rêverie. « Vraiment ? Je trouve ça plutôt grandiose. »
« Allons, Henry. »
« Eh bien, c'est tellement cher, et tellement laid, n'est-ce pas ? Je crois que c'est volontairement laid. Et les gens l'achètent par pure perversité. »
« Je ne vois pas ce que tu trouves de grandiose à ça. »
« Tout est grandiose quand c'est vraiment fait à grande échelle. »

(j'adore !)

Ce livre a été trésorisé par Alwenn, Restling et Karine (pour cette dernière, le lien vous envoie sur son billet; les deux autres demoiselles n'ont pas, elles, critiqué ce roman sur leurs pages, et je les pardonne dans un grand élan de mansuétude).

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Commentaires
E
* Lectiole, c'était une bonne idée que ce défi-lecture ! Moi aussi, je l'avais lu en trois jours :-)<br /> Pour le style, c'est fort dommage; certains traducteurs sont moins scrupuleux que d'autres, visiblement...
L
J'ai profité du défi-lecture pour le lire. <br /> Pour le style de Donna Tartt, j'ai lu qu'en fait, ce serait la traduction française qui serait ratée.
E
* Hambre, oserais-je te conseiller de succomber ? C'est vraiment un bon roman, tu verras si tu y plonges un jour !
H
ça me tente, ça me tente ...
E
* Karine, ça m'a fait plaisir de lire un de tes romans-trésors, tu sais ! Par contre, tu dis que des bouts de phrases ont été tronqués dans la traduction ? Ca, c'est lamentable !!!<br /> J'espère que tu trouveras le temps de nous parler de "La physique des catastrophes", ton avis m'intéresse !
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