Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
N.u.l.l.e.
23 juin 2009

Révolution !

Quatrevingt-treize
de Victor Hugo (1874)
lu dans la belle édition Bouquins de Robert Laffont

hugo

« La situation se précisait, et était ceci :
Pour les assaillants, une brèche à gravir, une barricade à forcer, trois salles superposées à prendre de haute lutte, l'une après l'autre, deux escaliers tournants à emporter marche par marche, sous une nuée de mitraille; pour les assiégés, mourir. »

Ne me demandez pas comment je me suis retrouvée avec ce gros volume dans les mains, ou je vais sauter sur ce prétexte pour écrire quinze lignes d'introduction à un billet que je me sens incapable d'écrire.
On m'en a conseillé la lecture.
Comme c'était un conseil de la personne qui m'avait déjà incitée à lire Le nom de la rose d'Eco (que j'ai abandonné en cours de route), j'ai inévitablement ressenti une légère appréhension avant de me lancer puis, aventurière que je suis, je suis partie dans la France de 1793.
Si l'on vous propose un jour d'effectuer un voyage dans le temps, honnêtement, je vous déconseille de visiter la fin du XVIIIe siècle, parce que vous n'êtes pas sûrs de revenir vivants.

Quatrevingt-treize peut faire peur à plusieurs niveaux.
Déjà, c'est un classique, et comme tout le monde le sait, les classiques font peur, ils sont illisibles, les phrases sont pleines de mots, on ne s'en sort pas.
Puis c'est un roman historique. Quand on sait à peine que nos ancêtres ont dû essuyer deux guerres mondiales le siècle dernier, je peux vous dire que se lancer dans un récit historique aussi détaillé peut engendrer quelques sueurs froides.
Je pourrais me triturer l'esprit pour trouver une troisième crainte, mais je trouve cela suffisant. Parce que maintenant que je refroidis tout le monde, il faut que je trouve des arguments pour vous réchauffer. Cette dernière phrase est douteuse, oubliez-la.

Les lecteurs s'accordent généralement pour dire que Quatrevingt-treize est l'un des romans les plus accessibles d'Hugo. Pas ou peu de fioritures, on ne passe pas 150 pages à se demander si on doit reposer le livre ou persister (je dis ça,je dis rien), non, il paraît que le romancier va à l'essentiel, et qu'il y va en brillant. En même temps, c'est Victor Hugo, normal qu'il éblouisse.
Je dois avouer que cette rumeur est assez fondée; l'une des grandes forces de Quatrevingt-treize étant justement de nous parler de l'Histoire en s'attachant à quelques figures identifiées de la Révolution. Les personnages n'ont pas forcément existé, mais que l'on puisse mettre un nom sur une figure qui incarne tout un groupe de combattants, cela aide considérablement à la compréhension du texte global. Ainsi, le marquis de Lantenac, qui débarque en Bretagne après un voyage en mer fort mouvementé, rassemble des paysans pour soutenir la monarchie vacillante; ce sont les blancs. Les bleus, eux, sont menés par Cimourdain et Gauvain  (neveu de Lantenac, ce qui donne lieu à des confrontations à la fois personnelles et politiques), les deux révolutionnaires n'ayant pas non plus la même vision de la République à construire.
L'intrigue, confinée essentiellement en Bretagne, s'attache équitablement aux deux forces combattantes, présentant les arguments de chacun en laissant finalement le lecteur seul juge quant à la raison d'être de cette révolution bouillonnante. Le discours de Victor Hugo est suffisamment clair pour que même ceux qui n'ont jamais brillé en histoire (ahem) puissent suivre et s'impliquer dans l'intrigue historique.
Parallèlement aux combats et aux méthodes d'attaques, on suit le destin d'une mère et de ses trois jeunes enfants : le mari faisant partie des victimes de la Révolution, la femme tente de survivre tant bien que mal dans les bois bretons, jusqu'à ce qu'elle soit blessée et séparée de ses enfants, recueillis alors ceux qui les ont attaqués, à savoir les bleus. Tout au long de l'histoire, on retrouve donc cette figure maternelle qui tente de guérir pour partir à la recherche de sa seule raison de vivre (ses enfants, donc. Vous auriez pu deviner sans ma parenthèse, hein). Cette touche d'humanité apporte une nouvelle ampleur à l'intrigue principale, d'autant plus qu'elle s'y fond avec un naturel irréprochable.
Bien sûr, l'ensemble ne se lit pas aussi facilement qu'un programme de télévision, mais cela vaut le coup de faire un petit effort pour accéder à ce grand roman; si j'ai moi-même pu le lire sans avoir recours toutes les vingt pages à Internet pour comprendre les faits historiques, c'est que tout le monde en est capable. Victor Hugo se perd très peu dans des chapitres descriptifs, ce qui permet de mettre en place une certaine dynamique. Ce qui est amusant, c'est de voir à quel point il semble à l'aise avec l'écriture et les effets de style (je sais comme ça peut être risible de dire ça de Victor Hugo, allez-y, je vous autorise à rire). Il manie les mots avec une facilité apparente qui pourrait rendre jaloux n'importe quel écrivain actuel. Son sens de la formule habille et magnifie chacune de ses pages, à tel point qu'on se demande parfois si la forme ne prédomine pas sur le fond. Il magnifie chaque idée, même la plus simple, pour la tourner de manière remarquable. Il y a notamment quelques passages sur l'instinct maternel qui me paraît admirablement décrit, même si cela peut paraître bestial ou légèrement sexiste (
« Les femmes sont faibles, mais les mères sont fortes. »). Un exemple :

« Le silence d'une idée fixe est terrible. Et comment faire entendre raison à l'idée fixe d'une mère ? La maternité est sans issue; on ne discute pas avec elle. Ce qui fait qu'une mère est sublime, c'est que c'est une espèce de bête. L'instinct maternel est divinement animal. La mère n'est plus femme, elle est femelle. »

Le dénouement du roman est d'une force incroyable; Victor Hugo y concentre à la fois la fureur du combat, le désespoir des vaincus, la douloureuse ambiguïté des sentences humaines, et cette bête petite chose qui différencie (soi-disant) l'homme de l'animal : la sensibilité. Oui, la dernière partie est magistrale; et comme les précédentes sont loin d'être mauvaises, cela fait de Quatrevingt-treize un roman tout à fait recommandable (pour rester pondérée).

Publicité
Commentaires
E
* Hambre, c'est sûr que pendant les vacances, tu as bien le droit de te planifier des lectures plus légères si tu en as envie/besoin ! Hugo attendra la rentrée ;-)
H
J'ai lu et relu du Victor Hugo mais là pendant ces vacances on ne vas pas réessayer :) mais merci pour ce billet !!!
E
* Anne, voilà qui est vraiment très gentil ! J'irai faire un tour dans vos lectures dès que j'aurai un peu plus de temps... :-)<br /> <br /> * Lilly, j'avais oublié qu' "Un conte de deux villes" se passait en période révolutionnaire, ouh que ça me donne envie, d'un coup... ;-))<br /> Non mais ce n'est plus édité. J'en ai marre. J'ai fait les bouquinistes, impossible de trouver autre chose qu'Oliver Twist. Les amis de Dickens ont la vie dure, crois-moi.
L
Je l'ai lu, et je ne me souviens de presque rien, sauf cette dernière page, qui est comme tu le dis si bien, magistrale. Tu peux maintenant lire "Un conte de deux villes" de Charlie pour continuer avec la Révolution ;o)
R
C'était mon premier passage en effet mais certainement pas mon dernier ;) Merci de l'accueil !!
Derniers commentaires
Publicité
Publicité