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N.u.l.l.e.
26 juin 2009

Signifying nothing

Le bruit et la fureur
de William Faulkner (1929)
traduction de Maurice Edgar Coindreau
 

http://image.evene.fr/img/livres/g/2070361624.jpg

« le reste du temps, des voix seulement, qui rient là où nous ne voyons rien de risible, des larmes sans raison de pleurer. »

Ceux qui ont déjà tenté d'écrire un billet sur un roman de Faulkner savent à quel point l'exercice est périlleux.
Si je tentais de dresser une présentation cohérente du Bruit et la fureur, j'en dénaturerai son côté exceptionnel (une bonne excuse pour rester obscure, une !). Le lecteur n'a pas besoin d'en savoir beaucoup lorsqu'il décide d'ouvrir ce livre; de toute façon, même s'il connaissait l'histoire, ça ne l'aiderait pas à comprendre.
Il faut juste savoir qu'il est question d'une famille, vivant dans le comté imaginaire de Yoknapatawpha (oui, ceci peut devenir un exercice de prononciation). Il y a les parents, quatre enfants. Leurs domestiques noirs. La chaleur du sud des États-Unis, la pauvreté, un peu, aussi.
L'aîné des fils, Benjamin, est un attardé. Le deuxième est une pourriture, le troisième est amoureux de leur sœur. Sœur qui a tendance à coucher avec le premier venu, qui tombe enceinte, qui se marie et quitte la maison.
Le roman est découpé en quatre parties, chacune comportant le récit d'une seule journée. Mais comme dans une journée, on peut penser à mille événements du passé, on a l'impression que l'intrigue se déroule sur plusieurs années... Et, quand on sait que les trois premières parties ont un narrateur différent, cela complexifie le tout : chacun laisse ses pensées dériver et alterne passé et présent de manière totalement obscure pour le lecteur. Je défie quiconque de comprendre entièrement une page de la première partie (qui en compte cent). Vous me direz que c'est à cause du narrateur, Benjy, qui est un "idiot". Comment un idiot pourrait penser avec logique ?
Mais son frère Quentin n'est pas plus limpide dans la seconde partie. Faulkner se joue de nous; c'est lui qui tire les ficelles. On ne l'oublie pas un instant à la lecture de ce roman : l'auteur est le maître du jeu.
Lire Faulkner, c'est presque du travail. Un labeur. Cela demande une réelle concentration. On s'engage dans un labyrinthe dont on peut sortir en un claquement de doigts (en fermant le livre), mais ce serait affreusement dommage. Il faut accepter de se perdre, au contraire. Accepter de ne pas tout contrôler, de voir les repères habituels brisés. Évidemment, ce n'est pas toujours facile; moi-même, je me suis demandée pourquoi je persistais (il y a un moment donné où, quand on ne comprend quasiment rien, on se décourage curieusement). Mais il y a une petite musique discrète, un je-ne-sais-quoi qui m'attirait vers le texte, comme un aimant. Il fallait que je connaisse la famille Compson, que je comprenne leurs secrets. On a la tête qui tourne, mais ce n'est pas grave. J'aime que l'on me stimule intellectuellement, qu'on ne me donne pas toutes les clés.
Les troisième et quatrième parties sont beaucoup plus classiques dans leur construction (je me sens obligée de le préciser pour les peureux. Si, si, je vous vois), à tel point que nombre d'éléments annoncés précédemment se mettent en place, et que de grandes incertitudes disparaissent. On comprend beaucoup de choses (on en avait pressenti quelques-unes, mais comment être sûr ?), et le pire, c'est qu'on a mal de comprendre. Il y a des vérités tellement sales, dans cette famille. Des comportements impardonnables. J'ai rarement ressenti autant d'antipathie pour un personnage que pour Jason. Il m'a écœurée au-delà de l'imaginable. Les autres sont émouvants dans leur petitesse, dans leur désespoir, dans leurs vies ratées. Il semblerait qu'aucun bonheur ne soit possible à Jefferson. La seule issue se trouve dans la fuite (quelle qu'elle soit).
Je serais incapable de vous donner envie de lire ce roman; de vous expliquer, d'ailleurs, les véritables émotions que j'ai pu ressentir en le lisant. C'est une œuvre tellement unique, il faudrait presque inventer de nouveaux mots pour en parler. Mais c'est sûr qu'il faut s'investir pour accéder à la beauté du Bruit et la fureur. Même ainsi, c'est un de ces romans qui demande absolument une seconde lecture pour capter les échanges des deux premières parties...
Je sens que je décourage tout le monde; ce billet étant chiant comme cinq kilos de repassage à faire, on peut dire que je ne fais pas d'efforts pour susciter l'envie. Tant pis. Que ceux qui ont quand même la curiosité de lire Faulkner foncent; je ne doute pas un instant que ce soit un auteur incontournable, un grand romancier américain. Le bruit et la fureur est une œuvre remarquable; Faulkner a un talent rare. Passer à côté serait un grand gâchis.

« Je pouvais entendre la pendule et je pouvais entendre Caddy debout derrière moi, et je pouvais entendre le toit. Il pleut toujours, dit Caddy. Je hais la pluie. Je hais tout. Et puis sa tête est tombée sur mes genoux, et elle pleurait en me tenant, et je me suis mis à pleurer. Et puis, de nouveau j'ai regardé le feu, et les formes brillantes et douces ont recommencé. Je pouvais entendre la pendule et le toit et Caddy. »

J'ai honte de ce billet; allez plutôt lire celui de Lilly, il est très bon. (tu as vu, j'ai mis du temps, mais j'ai fini par le lire !)

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Commentaires
E
Hambre, merci pour ce très gentil compliment ! C'est un grand livre, qui mérite d'être découvert, assurément. Tu m'en diras des nouvelles !!
H
Alors je ne passerai pas à côté !!! hi hi hi,j'aime beaucoup ton enthousiasme dans tes billets !!!
E
* Amanda, des vacances fatigantes, alors, mais c'est tellement chouette aussi de vadrouiller ! Pourvu que Faulkner trouve sa place dans tout ça ;-)
A
souvent ! bientôt ! un peu en juillet, un peu en août, je pars, je reviens, je repars... cette année je serais itinérante :)
E
* Theoma, tu as raison, ce n'est pas un auteur qu'on peut lire n'importe comment, n'importe quand. Tu as une PAL bien riche, en tout cas ! :-)
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