Oublier la peur
Appelez-moi par mon prénom
de Nina Bouraoui
Stock, 2008
« Il neigeait et j'avais cette idée qu'il neigeait à l'intérieur de moi, fuyant sans cesse son regard, gagnée par ce que je n'avais jamais su contenir : les Sentiments. »
Nina Bouraoui fait partie de mes auteurs contemporains préférés, et je crois que c'est justement ce détail qui me bloque pour écrire mon billet aujourd'hui. Ses romans sont très importants pour moi, et Appelez-moi par mon prénom m'a légèrement désarçonnée.
Il y est question d'une romancière, partie dédicacer son dernier livre en Suisse; il y est question d'une rencontre, entre cette femme et un de ses lecteurs, seize ans plus jeune, un étudiant qui sait la toucher en lui montrant comment il a utilisé l'œuvre de la romancière pour la (re)créer de son côté. En effet, P. est étudiant en art. Il est beau; il est entouré de mystères; et dès que la narratrice le remarque, une légère brise s'insinue dans leurs vies.
Appelez-moi par mon prénom raconte les balbutiements amoureux, les premières étincelles de la passion, les débuts parfois maladroits qui nous chavirent sans qu'on n'y puisse rien. Parce qu'elle habite à Paris et lui à Zurich, s'instaure entre eux une correspondance virtuelle, qui déborde vite en coups de téléphone... puis en retrouvailles...
Cela a beau être un roman assez fin (112 pages), il prend malgré tout le temps d'aborder différents sujets, dont la découverte d'un nouvel amour, la place qu'occupent le passé et nos souvenirs dans ces nouveaux sentiments, mais aussi la création, vécue différemment par les deux personnages - j'ai l'impression que P. (on ne connaîtra jamais son prénom) envisage plus cela comme une consolation : il suffit de voir la cellule qu'il a créée, une immense "boîte" où il prend rentrer et se réfugier en cas de choc émotionnel, une cellule où ne peut être écouté qu'un seul morceau de Mozart (son Laudate Dominum) et où l'une des parois contient des bribes de phrases censées l'aider à se protéger du reste du monde. Ça peut paraître étrange, je trouve cela fantastique. La narratrice (jamais nommée, mais le lecteur projette forcément Nina Bouraoui dans ses traits, surtout qu'elle parle d'un roman qu'elle est en train d'écrire, et qui correspond tout à fait à Avant les hommes), je reprends, la narratrice, elle, envisage la création comme une défense, comme une manière de remplir le vide de sa vie, comme une attraction née de sentiments négatifs : « Je pensais que l'écriture naissait d'une blessure et qu'il m'était impossible de produire [...] si j'étais heureuse. »
L'art étaye le récit, par les expériences personnelles des protagonistes, mais aussi par la présence d'autres artistes évoqués (peintres, musiciens, écrivains...), interrogeant ainsi la richesse du monde et ses multiples possibilités.
Là n'est pas l'essentiel, me direz-vous - alors, soit, parlons d'amour ! Lors de la rentrée littéraire de septembre 2008, Nina Bouraoui avait été questionnée par F. Busnel, et elle avait expliqué que dans toutes les différentes étapes de l'amour, celle qu'elle préférait par-dessus tout était celle qui précédait la concrétisation des sentiments. Une fois que l'amour était réellement vécu, il perdait presque de son ampleur (et Claire Castillon, aussi présente sur le plateau, avait totalement acquiescé). C'est une vision étrange de l'amour, mais aussi très compréhensible. Quand le cœur s'emballe sans encore obtenir ce qu'il recherche, tous les possibles s'offrent à lui; ce choix, cette lumière-là, est à savourer parce que cette étape est généralement suivie d'une chute (à plus ou moins long terme).
« Je refusais qu'il m'accompagne à la gare, lui cachant encore mes larmes. Nos séparations me rappelaient d'autres séparations. Je pensais que l'on ne guérissait pas de son passé. Je rentrais chez moi emplie d'images puis de vide. »
Dans ce roman, l'histoire qui lie la narratrice au jeune homme n'est finalement presque pas intéressante; et à mon avis, Nina Bouraoui en a eu conscience elle-même. Elle s'attarde peu sur les détails, il me semble qu'elle s'attache plus au côté universel du sentiment amoureux, afin que quiconque puisse s'y reconnaître. Ce n'est pas une histoire d'amour, mais l'histoire de l'amour (si, il y a une nuance). Mais parce que la narratrice a une sensibilité exacerbée, parce qu'elle a peur de vivre et de ressentir, l'appréhension de son nouveau sentiment amoureux est teinté de mélancolie. Elle a d'emblée conscience qu'il y aura une fin, que l'homme se leurre pour ne pas vivre seul, que l'on se retrouve désarmé face à une personne qui peut nous détruire en un clignement d'œil.
Tout cet étalage sentimental m'a parfois donné la nausée (vous commencez à connaître mon sens de l'exagération, n'est-ce pas); on a tous forcément ressenti un jour ce que Nina Bouraoui décrit, et je crois que contrairement à elle, je n'aime pas les prémisses de l'amour, parce que c'est une situation incertaine pour les gens comme moi qui ont tendance à trébucher au moindre pas. Mais sa description n'en reste pas moins juste et touchante...
Peut-être que cela aurait même mérité d'être encore plus approfondi; ce qui m'a étonnée dans ce livre-ci, c'est sa facture très classique - jusqu'ici, je n'avais jamais rien rencontré de classique dans les romans de Nina Bouraoui. Son style, beaucoup moins bousculé que d'habitude, s'attache à prendre des tournures plus "normales", et ces phrases, justement trop simples à mes yeux, sont trop étroites pour contenir l'amour, la passion, les sentiments qui rendent vulnérables, la fièvre. Tout cela est particulièrement subjectif; mais je n'ai pas retrouvé la bouleversante Nina que je connais, et cette absence est devenue au fil des pages un manque jamais comblé. Évidemment, il y a quand même de sublimes passages, des mots qui trouvent écho en moi, des petites épines qui traversent le papier. Mais le tourbillon que j'attendais n'est pas venu; cela reste une brise. Joliment maîtrisée, agréable à lire, touchante par instants.
Peut-être que Nina Bouraoui était justement heureuse au moment de l'écriture; je ne peux pas lui reprocher. Mais fatalement, on ne ressent pas la même urgence, la même fébrilité que d'habitude.
« Les toits de Paris ressemblaient à de petits rectangles bruns et imparfaits. Je me demandais combien d'histoires abritaient les bâtiments et combien de chagrins s'y préparaient. »
Levraoueg nous en parle justement aujourd'hui (et je suis totalement d'accord sur ce qu'elle dit sur les nouvelles technologies, bien amenées dans ce roman); Mango n'a pas aimé et c'est très triste. Pour finir, en farfouillant un petit peu, j'ai trouvé un second avis, dans les commentaires d'un billet chez Émeraude : le deuxième commentaire de Dom rapporte de jolies choses sur ce roman.
Ainsi s'achève mon Challenge du 1%; oui, j'ai pris mon temps. J'essaierai de vous en faire un petit bilan très rapidement.