Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
N.u.l.l.e.
7 septembre 2009

Alors, pluie d'été

L'élégance du hérisson
Muriel Barbery
Gallimard, 2006 – Folio, 2009
409 pages

http://www.culturecie.com/uploads/pics/barbery_herisson_folio.jpg

« - Alors, vous pouvez me dire ce que c'est ?
Oui, mon ange, je le peux. Dans les années de l'enfer, sous le déluge, souffle coupé et cœur au bord des lèvres, une mince lueur : ce sont des camélias. »

Il semble presque inutile, aujourd'hui, d'exposer l'histoire de ce roman mais vous commencez à me connaître, j'adore l'inutile. Donc, je vous invite à me suivre dans un immeuble de la rue Grenelle, où les familles bourgeoises ne risquent pas d'être à l'étroit dans leurs appartements de 400 m². Tant d'espace qu'on comble avec des tapis plus chers qu'un mois de loyer (suis-je bête, ils sont propriétaires), tant d'argent qu'ils ne pourront jamais dépenser intégralement. Parmi ces gens étriqués (la richesse déconnecte du reste du monde), il reste malgré tout quelques personnes à sauver.
Paloma, douze ans, intelligente et dégoûtée par le train de vie sa famille, entreprend d'écrire ses Pensées profondes, et son Journal du mouvement du monde. Elle a décidé de se suicider le jour de ses treize ans, non sans avoir auparavant mis le feu à l'appartement; mais, en attendant, elle ne veut pas se vautrer dans le néant de la bourgeoisie et reste alors spectatrice des belles choses qui l'entourent, afin de trouver quelques plaisirs dans la vie.
Plus tard, il y aura M. Ozu. Son charme japonais fera battre des cils chaque femme de l'immeuble, alors qu'elles ne font finalement preuve que de bêtises et de curiosité mal placée. De toute façon, elles n'intéressent pas M. Ozu. Lui, il préfère Paloma. Et la concierge.
Evidemment, tout part de là. De Renée, 54 ans, laide, grassouillette, désagréable. Une vraie concierge, qui veille à être conforme à l'image qu'on attend d'elle. Pourtant, au lieu de regarder des soaps à la télévision, elle s'enferme dans la chambre du fond, et lit de la poésie. De la philosophie. De la littérature russe. Elle écoute du classique et boit du thé au jasmin avec son amie Manuela, femme de ménage dans l'immeuble.
Renée ne veut pas que les gens apprennent qu'elle est cultivée, raffinée, sensible. Elle est persuadée qu'on ne peut jamais quitter sa condition naturelle; qu'une enfant laide, pauvre, stupide, ne peut pas (ne doit pas) espérer évoluer. Alors Renée lit Tolstoï sans en parler à personne; seul son chat pourrait la trahir, lui qui s'appelle Léon. Mais en même temps, Léon, vous ne trouvez pas que ça sonne comme le nom d'un chat de concierge ?
Pas pour ceux qui voient plus loin que les apparences; et M. Ozu, fatalement, découvre que Renée est bien plus que ce qu'elle prétend être.

Le récit alterne deux voix, celle de Mme Michel, la concierge (son nom m'horripile à un point que vous n'imaginez même pas), et celle de Paloma, qu'on suit à travers ses deux journaux. Leurs prises de paroles alternatives se complètent et nous permettent de découvrir, avec deux regards différents, la vie de l'immeuble et les habitudes de ses habitants, où la plupart sont désœuvrants de stupidité. Paloma est finalement la plus méchantes envers ses "semblables", parce que, connaissant de l'intérieur ce monde de richesse, elle n'en connaît que mieux les codes, les absurdités, les attitudes écœurantes. Renée, quant à elle, se pose comme une spectatrice, et plus particulièrement comme une spectatrice un peu lassée et agacée par ce qu'on lui propose. Elle a d'ailleurs cette phrase formidable (qui m'est déjà culte) :

« Aux riches, le devoir du Beau. Sinon, ils méritent de mourir. »

Le roman est traversé par différentes teintes, culturelles, émotionnelles, tristes ou plaisantes. Paloma est un personnage particulièrement réussi, dans le sens où son expression reste empreinte de son jeune âge, tout en faisant preuve d'une maturité hors-paire. Ses réflexions, généralement très touchantes, nous dressent un portrait mélancolique de cette petite demoiselle, mais qui garde aussi une certaine vivacité liée à son âge. Malgré tout, ses pensées profondes sont généralement pessimistes, ou du moins assez sombres, ce qui permet de ressentir, dès le début du roman, une atmosphère particulière, presque troublante.

« Voilà donc ma pensée profonde du jour : c'est la première fois que je rencontre quelqu'un qui cherche les gens et qui voit au-delà. Ça peut paraître trivial mais je crois quand même que c'est profond. Nous ne voyons jamais au-delà de nos certitudes et, plus grave encore, nous avons renoncé à la rencontre, nous ne faisons que nous rencontrer nous-mêmes sans nous reconnaître dans ces miroirs permanents. Si nous nous en rendions compte, si nous prenions conscience du fait que nous ne regardons jamais que nous-même en l'autre, que nous sommes seuls dans le désert, nous deviendrions fous. »

Et, quelques lignes plus loin :

« Moi, je supplie le sort de m'accorder la chance de voir au-delà de moi-même et de rencontrer quelqu'un. »

...

Je ne peux pas être aussi positive envers Renée; je sais que cette apothéose, en un seul personnage, de clichés totalement agaçants, est volontaire, mais j'ai eu des difficultés à rencontrer, justement, cette Mme Michel à l'allure insaisissable. Je ne comprenais pas pourquoi elle jouait ce rôle de femme stupide. Je ne comprenais pas, à l'inverse, pourquoi Muriel Barbery, qui prône l'ouverture de la culture à toutes "catégories" de la population, s'est amusée à instaurer un discours aussi alambiqué dans la bouche de la concierge. Les délires philosophico-existentiels m'ont totalement dépassée; j'avoue sans honte qu'il y a des pages que je n'ai pas comprises. Et, quand je comprenais, je trouvais le style trop ampoulé pour être poétique, ou attachant. Quelque chose m'échappe dans ce parti pris intellectuel, et c'est dommage.
Il n'en reste pas moins que, par instants, cette concierge est émouvante; on parvient à capter un éclat de sa sensibilité, et on s'en délecte. Quand elle discute avec son amie Manuela, quand elle évoque certaines œuvres littéraires (Anna Karénine en tête - ce n'est pas un hasard si j'ai commencé à lire Tolstoï juste après avoir fermé ce roman-ci, c'est parce que Muriel Barbery en parle merveilleusement) ou même quand elle rencontre M. Ozu, une lumière se fait et la lecture devient bonne.
Dans la dernière partie du roman, une fissure s'amplifie, ouvre une brèche, fait trembler la cuirasse de Renée au point qu'on s'attend à la voir voler en éclat d'une ligne à l'autre. Ces pages, emplies de camélias et de larmes, sont superbes - surtout qu'elles concordent aussi avec une prise de conscience de Paloma, qui était déjà merveilleuse jusque-là, mais qui le devient encore plus.

« Il faut que quelque chose finisse, il faut que quelque chose commence. »

Et pourtant, il ne fallait pas terminer comme ça; ce dénouement qui en a bouleversé plus d'un(e) (et je le comprends entièrement) ne m'a pas laissée de marbre, non, mais a eu l'effet inverse de celui escompté. A mes yeux, cela contredit parfaitement tout le discours que Muriel Barbery développe dans les 350 premières pages. Comme si le salut, finalement, était impossible. Comme si l'on ne pouvait que trébucher lorsqu'on tente de s'élever, de quitter un statut social qui ne nous convient pas. C'est pessimiste, absurde et faux. Une telle idée prône presque l'immobilisme, le renoncement : « Moi, Renée, cinquante-quatre ans et des oignons aux pieds, née dans la fange et destinée à y demeurer ». Je n'aime pas ça.

Ainsi donc, mes deux bémols concernant ce roman; cela ne m'a pas empêché d'en apprécier la majeure partie, d'être intriguée, émue, intéressée. C'est un roman qui m'a donné envie. Envie d'appeler mon futur chat Léon; envie de thé au jasmin (désir assouvi entre-temps); envie d'installer une jardinière sur le rebord de ma fenêtre, où pousseraient quelques camélias (même s'ils ne sauveront probablement personne d'autre que moi); envie d'écrire, aussi, et ça, ça ne m'était plus arrivé depuis des années, mais non, mieux vaut lire, c'est moins fatiguant.
Les extraits que j'ai recopiés de ce roman recouvrent cinq pages; c'est assez conséquent. Ces cinq pages comme preuve de ravissement littéraire.

...

Tout le monde a lu ce roman, ou tout le monde a du moins essayé. Presque tout le monde est allé voir le film, aussi. Ici, c'est le livre qui m'intéresse, et je ne pouvais pas ne pas démarrer la liste des liens par le billet de Cuné dont le coup de coeur ne s'est pas amoindri avec le temps (j'espère que tu te remettras de mon billet ! ;-) ).
Ensuite, parmi ceux qui ont aimé, on compte
Bernard (qui cite l'un de mes passages préférés, on devrait tous prendre exemple sur Paloma), Amanda, Ephémerveille (et pour répondre à sa dernière phrase, il me semble qu'on reste un lecteur totalement respectable même si on n'est pas touché par ce roman), Jules, Papillon, Tamara, Yue Yin (ah, oui, soyeux !!!), Lily, cette chère Chiffonnette...
Puis il y a forcément des lecteurs plus mitigés; chez
Biblioblog, vous trouverez un melting-pot d'avis; Choupynette a préféré le film, Laure a été indisposée par la prétention des personnages, Sylvie est restée un moment sur ses gardes...
Je sais que j'oublie mille liens, mais même si je vous aime beaucoup, je n'avais pas envie de passer mon après-midi (on est dimanche, dans ma temporalité d'écriture. Fou, non ?) à dépouiller tous les blogs, Léon m'attend. Il vous reste toujours les commentaires pour rouspéter devant mon mangue de rigueur.

Publicité
Commentaires
E
* Dasola, c'était alors une vraie belle rencontre avec ce livre, tant mieux ! Je pense que la relecture permettra de s'arrêter sur de nouveaux passages, oui, je veux bien croire que ce roman se prête admirablement à la relecture...
D
Rebonsoir, y a pas à dire, il faudrait que je relise ce roman, lu en 3 jours, il y a plus de 3 ans. Je me revois le lire et rire à certains passages. Je ne me rappelle pas avoir passé des pages, il me semble avoir tout compris. C'est un roman à lire et à conseiller. Merci pour ce billet même avec les deux bémols. Bonne soirée.
E
* Sylvie, je te remercie ! <br /> Je comprends entièrement tes réticences, il y a des petits détails qui, accumulés, finissent par faire grincer des dents...
S
J'aime beaucoup ce billet fouillé et sincère:) <br /> Je suis restée sur mes gardes assez longtemps avec ce bouquin en effet, la formule est bien trouvée, encore bravo:)
E
* Yue, "soyeux" donne le sourire à chaque fois qu'on le croise dans le roman... Anna Karenine est gentille, mais un peu ennuyeuse pour l'instant. 200 pages en 2 semaines, je ne suis pas fière de moi !
Derniers commentaires
Publicité
Publicité