L'activité criminelle entraîne le besoin d'écrire
Le Voyage d'hiver
d'Amélie Nothomb
Albin Michel, août 2009
« Tant pis : il y a des femmes qu'il faut aimer malgré elles et des actes qu'il faut accomplir malgré soi. »
Je suis étonnée par les différents avis (journalistiques ou non) que j'ai pu lire vis-à-vis de ce roman, tant ils sont acerbes et intransigeants; alors que, de mon point de vue de simple lectrice, ce Voyage d'hiver, sans être un chef-d'œuvre, n'en offre pas moins une lecture agréable.
Dans ce rendez-vous annuel nothombien, on rencontre Zoïle, dont le prénom est longtemps sa seule originalité. Employé à EDF, il prospecte chez les nouveaux propriétaires, afin de vérifier qu'ils ne sont pas en train d'agoniser de froid à cause d'un chauffage défaillant. C'est ainsi qu'il fait la connaissance d'Astrolabe et d'Aliénor (pour ceux qui se poseraient des questions sur le premier prénom : oui, c'est féminin). Elles vivent dans un appartement sans chauffage, emmitouflées dans plusieurs épaisseurs de vêtements. L'une d'entre elles est superbe (Zoïle en tombe fou). L'autre ? Une demeurée. Clairement. Une autiste qu'il voit comme un obstacle sur son chemin amoureux (car il est amoureux, Zoïle).
Seulement voilà, la demeurée est une grande écrivain; et Astrolabe, par fidélité aveugle, lui consacre sa vie entière. Zoïle patientera, s'obstinera. Jusqu'au jour où, bon, il décide de détourner un avion et de commettre un attentat-suicide. Pourquoi pas, hein.
« J'ai besoin d'écrire ceci à ma propre intention : je ne suis pas un terroriste. Un terroriste agit au nom d'une revendication. Je n'en ai aucune. »
On pourrait prétendre qu'il y a d'autres moyens de vivre une déception amoureuse, mais la normalité n'a jamais tellement fait partie de l'œuvre d'Amélie Nothomb. Ma présentation est caduque parce qu'un peu trop linéaire; en réalité, le roman (dont la narration est prise en charge par Zoïle) démarre dans l'aéroport où le brave homme décide de mettre en œuvre ses idées malveillantes. C'est donc avec lui qu'on remonte le fil de sa rencontre avec la beauté et la demeurée, c'est à travers son regard qu'on découvre son existence (finalement assez neutre), son goût pour les champignons hallucinogènes et Schubert.
« Je ne pense pas que la médiocrité m'ait eu. J'ai toujours réussi à maintenir une vigilance de ce côté-là, grâce à quelques signaux d'alarme. Le plus efficace d'entre eux est le suivant : aussi longtemps qu'on ne se réjouit pas de la chute de quelqu'un, c'est qu'on peut encore se regarder dans la glace. Se délecter de la médiocrité d'autrui reste le comble de la médiocrité. »
Maintenant, qu'en dire ?
Je me demande parfois pourquoi je continue à lire A. Nothomb, sempiternellement, à chaque rentrée. Je reconnais que c'est de la lecture facile, que le fond est rarement exploité. Que cela ne ressemble pas tellement à de la littérature. Mais Amélie Nothomb, pour moi, ce sont aussi (surtout) des souvenirs. Un des rares auteurs que je partage avec ma sœur. C'est elle, d'ailleurs, qui m'a fait découvrir la romancière, avec Mercure.
Puis l'Amélie, je l'ai rencontrée trois fois. Toujours avec le même grand plaisir. Pour tout ça (et bien plus), je lui reste fidèle. Le Voyage d'hiver a de quoi faire grincer des dents : le détournement d'avion est un sujet douteux, d'autant plus quand il est entrepris pour détruire un monument symbolique d'un pays (en l'occurrence, la Tour Eiffel). Mais A. Nothomb avait déjà romancé les camps de concentration (dans Acide sulfurique), comme si chaque sujet grave pouvait tout aussi bien être remanié sous un aspect beaucoup moins grave que celui d'origine. Je comprends que ça en gêne certains.
Pour moi, c'est de la littérature sans grande conséquence. Pas de quoi crier au scandale.
Le Voyage d'hiver est inspiré de deux événements arrivés à son auteur.
Le premier : fin des années 90, le succès aidant, Amélie a pu s'offrir un appartement parisien, qu'elle partageait à l'époque avec une colocataire "normale" (c'est le mot qu'elle emploie dans cette interview). Elles n'avaient aucun chauffage. Un employé d'EDF était venu pour proposer une solution; attiré par la beauté de la colocataire, il ne parvenait pas à croire que l'écrivain, c'était l'autre. Celle qui paraissait étrange.
Second événement : Amélie a, visiblement, une fâcheuse tendance à sonner aux portiques des aéroports. Après une fouille corsée sur le territoire russe, à la fois énervée et dégoûtée, elle s'est mise à penser "Un jour, je vais en avoir tellement marre que je ferai vraiment sauter un avion". Et la case "écriture" de son cerveau s'allume tout à coup.
Ces deux faits me rendent le roman encore plus sympathique. Le voyage d'hiver ne fait certes pas partie de ses meilleurs livres, mais ce n'est pas un ratage non plus. J'ai passé une après-midi agréable en sa compagnie. Il ne faut pas en demander plus.
« Tomber amoureux l'hiver n'est pas une bonne idée. Les symptômes sont plus sublimes et plus douloureux. La lumière parfaite du froid encourage la délectation morose de l'attente. Le frisson exalte la fébrilité. Qui s'éprend à la Sainte-Luce encourt trois mois de tremblements pathologiques.
Les autres saisons ont leurs minauderies, bourgeons, grappes et feuillages où engouffrer ses états d'âme. La nudité hivernale n'offre aucun refuge. Il y a plus traître que le mirage du désert, c'est le fameux mirage du froid, l'oasis du cercle polaire, scandale de beauté rendu possible grâce à la température négative. »
(j'avouerai que ces derniers temps, parmi ce qui me pèse dans ce blog, c'est le recensement final des différents billets; la manoeuvre risque donc de s'alléger par moments, parce que ce n'est plus intéressant quand ça devient une corvée).
De fait, cette fois-ci, je vous renvoie chez B-o-B pour accéder aux différents billets écrits sur ce roman. J'en cite malgré tout ici, deux billets aux avis différents : celui de Cuné qui reste amatrice (je ne suis pas d'accord pour la fin, que j'avais trouvée assez logique, finalement...), et celui de Cryssilda qui exprime la part méchante de son être. Il ne faut pas refouler, de toute façon.