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N.u.l.l.e.
29 octobre 2009

« la tête un peu penchée, mais le cœur plein d'espoir »

L'amant de Lady Chatterley
de D.H. Lawrence (1928)
traduit en 1932 par F. Roger-Cornaz, pour Gallimard
499 pages dans ma fort vieille édition de poche qui sent littéralement mauvais. Ça m'apprendra à acheter d'occasion

lawrence

« La vie était toujours un rêve, ou une folie, enfermée dans un endroit clos. »

Et la vie peut aussi ressembler à une histoire d'amour, du genre qu'on n'attend plus. Un mari paralysé qui comble sa perte de virilité en se lançant dans l'écriture, une femme quelque peu délaissée et lasse, une femme, alors, qui deviendra adultère, non pas par défi ou par colère, mais plutôt par salut.
Constance Chatterley a besoin de s'évader de ce quotidien morose, dans ce domaine où elle a dû suivre son époux, et à force de vagabonder dans les collines avoisinantes, elle s'approchera doucement du garde-chasse, au point que tous les deux vont baisser leurs barrières pour s'offrir, ensemble, des instants de bonheur charnel qui les réveilleront petit à petit de leur torpeur...

Bien sûr, L'amant de Lady Chatterley ne se résume pas à cela; ceux qui ont tenté de réduire ce grand roman à une histoire de sexe n'y ont pas, je crois, compris grand-chose. Qu'ils n'aient crainte, je ne pense pas non plus me placer au-dessus d'eux, tant d'éléments m'ayant échappé à cause de ma lecture trop lacunaire. Un grand pan de ce récit aborde les transformations de la société moderne (le roman se passe en Angleterre au début des années 1920), que ce soit d'un point de vue industriel ou d'un point de vue plus humain. Pour ce qui concerne l'industrialisation du pays qui se fait en opposition à ses valeurs rurales, ne comptez surtout pas sur moi pour en dire plus - je ne lis pas avec mon esprit, mais avec mes sentiments, ce qui n'est pas une bonne chose en soi, mais je ne sais pas faire autrement. Et dès qu'on me parle de faits historiques, aussi simples soient-ils, je me sens démunie. Fort dommage, d'ailleurs, car cette lutte entre deux mondes antagonistes vient fatalement nourrir l'autre pan du récit, à savoir l'évolution des mentalités, et l'ouverture à d'autres pensées moins étroites. Il y a des pages entières où de jeunes aristocrates parlent de sexe, et ce en présence de Constance et de son impuissant de mari - sans que cela les perturbe particulièrement. D'ailleurs, Clifford (le mari paralysé) estime que le sexe n'est pas essentiel, indispensable : « Mais vous êtes bien d'accord, n'est-ce pas, que l'acte physique, accompli de temps à autre, n'est rien comparé à une longue vie vécue ensemble ? Ne croyez-vous pas qu'on peut subordonner la question sexuelles aux nécessités d'une longue vie ? [...] Après tous, ces frissons passagers comptent-ils vraiment ? »

Constance mettra du temps à se trouver, à oser penser clairement certaines de ses envies. Longtemps, elle croit qu'elle ne pourra pas être comblée physiquement, le fossé entre homme et femme étant trop profond pour être colmaté dans l'intimité. Les deux sexes n'ont pas la même vision de l'acte physique, ni la même attente. Mellors, le garde-chasse, n'est pas heureux non plus. Ces deux amants se perdent dans leur cheminement intérieur, parce que la première dissocie trop le sexe des sentiments (or, l'un sans l'autre, c'est triste) et parce que le second, lui, refuse de souffrir encore et réfrène autant que possible ses ardeurs charnelles. Tout vient, finalement, d'un manque de communication. Quand ils se seront assez apprivoisés pour exprimer réellement ce qu'ils éprouvent, l'adultère deviendra une histoire d'amour.

« - Voulez-vous que je vous dise, dit-elle, en le regardant, voulez-vous que je vous dise ce que vous avez, et que les autres hommes n'ont pas, et qui fera l'avenir ? Vous le dirai-je ?
- Dites-le donc, répondit-il.
- C'est le courage de votre propre tendresse; c'est ce qui vous fait poser la main sur ma croupe et dire que j'ai une jolie croupe. »

Ce qui va les lier est plus qu'une histoire de cul; je préfère écrire les choses clairement, parce que j'ai trouvé des propos, sur certains sites, qui me semblent en décalage complet avec le sens profond de l'œuvre.
Ah oui, ça, il y a des passages assez crus. Il y a des discussions d'une modernité remarquable. De quoi choquer les bien-pensants, ceux de l'époque et ceux d'aujourd'hui. Quel dommage, quand on y pense... parce qu'il n'y a rien de foncièrement mauvais dans ce roman, de foncièrement sale, de scabreux.
Ah oui, ça, madame n'est pas fidèle à monsieur. Mais que fallait-il faire ? Se taire, continuer une vie sans intérêt, étouffer ses envies et ses besoins, histoire de sauver les apparences, rester une lady convenable ? Clifford, lui, ne noue-t-il pas une relation ambiguë avec son infirmière ? C'est un homme à l'attitude presque malsaine, rejetant son statut de mâle (puisqu'il a perdu tout ce qui faisait sa virilité) pour jouer les enfants malades, les capricieux. L'aime-t-il réellement, sa Constance ? Ou se ment-il ?

Ce qui lie Constance à Mellors est tellement beau que je n'y ai pas décelé le moindre mal. A part pour eux : quand une bourgeoise s'éprend d'un garde-chasse, cela finit rarement bien. Leur amour, dès ses balbutiements, est voué à l'échec et au chagrin. Mellors ne cesse d'en avoir conscience :

« Il était pâle, le front sourcilleux.
- Et avez-vous regretté de me rencontrer ? demanda-t-elle.
- J'en ai du regret et de la joie.
- Et maintenant ?
- Maintenant, je redoute tout ce qui peut venir du dehors, les complications, les accusations, toutes les laideurs inévitables qui nous attendent. J'y pense dans mes moments de dépression. Mais quand mon sang se ranime, alors je suis heureux. Je suis même triomphant. J'étais en train de devenir amer. Je croyais qu'il n'y avait plus d'amour, qu'il n'y avait plus de femmes qui pussent tout naturellement suivre l'homme dans la sensation physique.
[...]
- Et maintenant, êtes-vous content de moi ?
- Oui ! quand je peux oublier le reste. Quand je ne puis pas l'oublier, j'ai envie de me cacher sous la table et de mourir. »

Ils se rendent rapidement compte, tous les deux, que ce qui les unit est plus qu'une simple liaison. Que leur amour les enivre tant qu'ils souhaiteraient en profiter ensemble, chaque jour, sans restriction aucune. Mais il y a leurs mariages (car Mellors aussi est marié, mais avec une folle qui a quitté le domicile il y a des années), le poids de la société, leur différence de classe.
Leurs états d'âme sont de toute beauté à lire; de toute tristesse aussi, évidemment. Les dialogues, parfois en décalage (Constance a un besoin permanent d'être rassurée, tandis que Mellors paraît beaucoup pragmatique), sont superbes. J'y ai retrouvé une atmosphère digne d'Hemingway, et surtout de L'adieu aux armes : dans ces deux romans, les femmes sont entières dans leur histoire d'amour, à tel point qu'elles n'imaginent pas que certains obstacles pourraient tout détruire. Il y a une candeur désespérée dans les propos de Constance, un amour si tendre qu'elle est prête à renoncer à tout son confort pour s'offrir une vie avec Mellors,
« une vie, rien de plus. »
Au plus les pages défilaient, au plus mon ventre se nouait. La tension grandissait. Ces deux-là vont droit dans le mur. Mais c'est tellement beau que je continuais à espérer malgré tout, même si ça paraissait vain.
Puis il y a cette fin. Qui m'a coupé l'herbe sous le pied. Alors que je m'étais préparée ! Mais non, ça ne suffisait pas, j'ai trébuché. C'était tellement fou, incroyable, que j'ai couru sur internet voir si mon livre était bien une édition complète. S'il ne manquait pas quelque chose, derrière.
Mais non. C'était bien ça : D.H. Lawrence a réussi son roman jusqu'à la dernière ligne, jusqu'au dernier mot. Superbe.

« Mais, tant pis, tant pis, nous n'allons pas nous tourmenter. Nous croyons à la petite flamme et au Dieu sans nom qui l'empêche de s'éteindre. Il y a, au fond, tant de vous ici, avec moi, qu'il est dommage que vous n'y soyez pas tout entière. »

Nous sommes normalement trois à vous présenter ce roman aujourd'hui (agréable concept que celui de lecture commune, je suis curieuse de connaître l'avis des deux autres lectrices) : Ys et Lounima l'ont lu, tout en l'appréciant moins que moi (hélas, trois fois hélas).
Evidemment, d'autres lecteurs ne nous ont pas attendues; parmi eux, on retrouve
Alwenn (mitigée tout en argumentant, passionnant), Yue Yin (billet remarquable aussi; elle me rappelle d'ailleurs que j'ai aussi trouvé le style répétitif, presque maladroit, mais je suis sûre que ça vient du traducteur (le pauvre) et non pas de l'auteur), Zaphod (moi, je suis quand même triste pour les baleines).

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Commentaires
E
* Chiffonnette, tiens, tu fais partie des gens qui ont aimé le film ! L'histoire n'est pas totalement la même, notamment sur la fin, je crois. Mais évidemment, c'est le livre qui est plus réussi. Sans conteste. :-)<br /> (dit celle qui ne veut toujours pas voir le film)<br /> <br /> * Romanza, c'est bien déjà que tu le possèdes, nos bibliothèques nous apportent la certitude que de belles heures de lecture nous attendent !
R
Je l'ai depuis un bout de temps mais je ne l'ai pas encore lu !! <br /> Je vais m'y mettre après un tel avis!
C
Je me suis promis de le lire après avoir vu la magnifique adaptation sortie il y a deux ans et qui reste un grand souvenir. Et là j'arrête avec les grands et les magnifiques, c'est pénible à la fin! Mais voilà! Et du coup je crois que je vais le faire le challenge des classiques!
E
* Lounima, bienvenue par ici ! :-) Si tu es trop cérébrale, je tiens à te rassurer : je suis aussi trop sentimentale ;-)<br /> Une future lecture commune, ce serait avec grand plaisir, mais j'ai regardé ta PAL, et elle ne contient aucun autre titre de la mienne... même si elle contient de jolies choses !
L
Il transparaît clairement que tu as lu ce livre avec ton coeur, tu en parles si bien ! En lisant ton billet, je me demande où j'avais le mien (de coeur) durant ma lecture... Je dois être trop cérébrale ! ;-)<br /> PS : Je découvre ce blog grâce à cette lecture commune ! A quand la prochaine ? (pas d'histoire d'amour toutefois...)
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