"Moi, cette femme, je l'aime plus que les abricots au sirop"
Figurez-vous qu'il m'est arrivé quelque chose d'adorable (non, je n'ai pas adopté de chaton, à mon plus grand désarroi).
Il y a quelques semaines de ça, ma sœur m'a tendu un paquet avec un air particulièrement inquiet.
"C'est pour ton anniversaire, qu'elle me dit (alors que l'événement remontait déjà à plus d'un mois), et c'est un livre." Sacré événement : elle ne m'en offre jamais, car vous comprenez, j'en ai déjà tellement, elle a toujours peur de se tromper, d'acheter un doublon.
Un sourire au coin des lèvres, je m'empare du paquet, commence à l'ouvrir. Il contenait L'ombre du vent, de Carlos Ruiz Zafon.
Je l'ai déjà lu (ce qu'elle ne pouvait pas savoir car, mes amis, aucune personne de ma famille ne connaît l'existence de blog, et entre nous : pourvu que ça dure). Je l'ai déjà lu, donc, mais je ne le possédais pas.
C'était tellement touchant que ma sœur ose m'offrir un livre que j'ai un peu menti, en disant que non, je ne l'avais pas lu, que c'était très chouette qu'elle me l'offre parce que j'en avais entendu beaucoup de bien (ça, c'est vrai), vraiment, merci beaucoup, tu as très bien choisi.
Je me suis dit que pour lui faire honneur (à ma sœur, au livre, à ce que vous voulez), j'allais le relire.
Il va de soi que je ne vais pas vous refaire un billet en bonne et due forme (en imaginant, d'ailleurs, qu'il existe un réel protocole à suivre, un peu de fantaisie ne fait pas de mal), puisque j'ai déjà tout raconté il y a un certain temps. L'histoire, depuis, n'a pas changé - remarquez, ça n'aurait pas été un mal de voir quelques modifications mais chut, c'est mon côté mauvaise langue qui ressort immanquablement.
Au premier abord, je dois reconnaître que cette relecture m'a permis d'apprécier un peu mieux certains points du roman, dont l'ambiance générale et l'écriture qui, sans être particulièrement travaillée, ciselée, permet au lecteur de voguer dans cette étrange histoire avec douceur. Oui, c'est agréable de suivre Daniel dans son apprentissage de la vie, dans sa découverte du monde, de voir toutes les figures plus ou moins fantasmées qu'il rencontre au fil de ses recherches risquées et maladroites. Avant tout, L'ombre du vent est une quête, à la fois personnelle et littéraire. Tout doucement, Daniel se fond dans cet homme-mystère qu'il cherche à saisir à travers les souvenirs de ceux qui l'ont connu. L'auteur s'est évertué à créer un parallèle ô combien symbolique entre ces deux-là (le jeune homme et l'écrivain oublié), déployant quelques passerelles entre ces deux vies (avec notamment le stylo qui aurait appartenu à Victor Hugo); on sent à quel point Ruiz Zafon a voulu lier ces deux destins en prouvant la force des mots et de l'amour, mais quelque chose reste coincée dans cette machine, il y a un moment où l'invraisemblance la plus totale l'emporte sur la volonté de raconter une belle histoire. Certains comportements demeurent incompréhensibles, comme si les personnages tenaient à souffrir, à se sacrifier, comme s'il n'y avait pas la possibilité de vivre une vie plus tranquille, plus douce que celle qu'ils se construisent (alors qu'en fait : si). Il aurait fallu alléger quelques traits caricaturaux (ah, ce Fumero de flic, devenu une pourriture jusqu'à la moelle, pourriture assoiffée de vengeance meurtrière, tout ça parce qu'il n'a pas eu la fille qu'il convoitait quand il était ado) (je schématise, mais j'ai le droit : l'auteur le fait aussi), il aurait fallu éviter quelques rebondissements pathétiques (le fameux lien de parenté, qui surgit au détour d'une révélation parce qu'il faut bien expliquer tout ce qui s'est passé avant, ah, je vous jure, ce lien de parenté... est ridicule), il aurait fallu aussi éviter d'écrire quatre épilogues, surenchère inutile typique de l'auteur qui veut tout raconter, qui ne veut pas laisser d'interrogations au lecteur, qui veut montrer que l'histoire continue, que le flambeau brûlera encore, toujours, tant qu'il y aura des gens pour sortir des histoires du Cimetière des Livres Oubliés. Ce dégoulinement de bons sentiments est agaçant.
L'ombre du vent n'est pas un mauvais roman, mais ses bonnes intentions et ses rebondissements boiteux nuisent à la qualité de l'ensemble. Il aurait fallu plus d'ambiguïté, plus de mystère, moins de fantastique. Mais lisez-le, si vous ne l'avez pas encore fait, lisez-le lors d'un trajet en train, ça vous permettra de vous concentrer sur autre chose que les conversations des voisins. Lisez-le un week-end un peu triste, lisez-le pendant les vacances de Noël si vous avez besoin d'une échappatoire, lisez-le en été si vous avez du mal à vous concentrer sur le bord de la plage. Lisez-le, ou ne le lisez pas, d'ailleurs. J'ai été contente de le relire, même si j'ai conscience que ce n'est pas un livre important.
Par contre, je maintiens ce que je disais dans mon premier billet : je suis toujours candidate pour être Gardienne du Cimetière des Livres Oubliés. Remarquez, je n'en suis pas si loin...
Pour ceux qui trépignent d'impatience à l'idée de lire un vrai billet concernant ce livre, je ne peux que vous renvoyez chez B-o-B.