« Il ne faut jamais faire confiance aux miroirs »
Coraline
de Neil Gaiman (2002)
Albin Michel, 2003, pour la traduction française d'Hélène Collon
j'ai une édition France Loisirs, mais chut, je l'ai acheté dans un vide-grenier, je suis pardonnée
et elle fait exactement 145 pages
« Il est étonnant de constater à quel point notre personnalité dépend du lit dans lequel nous nous réveillons le matin. Étonnant, aussi, comme cette personnalité peut être fragile. »
Le pire souci de Coraline n'est pas d'avoir un prénom que personne ne prononce correctement, mais plutôt de s'ennuyer. Ses parents et elle viennent d'emménager dans une maison divisée en appartements, ils n'ont pas beaucoup de temps à lui consacrer et il reste encore quelques jours avant la rentrée des classes... Alors Coraline joue les curieuses, rencontre ses voisins - les deux vieilles dames qui vivent ensemble après avoir connu une grande carrière théâtrale, l'homme qui est chef-d'orchestre pour des souris musiciennes... Décidément, les gens sont étranges dans le coin, ce qui ne s'arrange pas quand Coraline ouvre une mystérieuse porte dans son appartement et découvre un autre monde, qui ressemble fort au sien, mais où de nombreuses valeurs semblent inversées...
Ça, s'il y a une bêtise à faire dans un rayon de 30 kilomètres à la ronde, vous pouvez être sûr que l'enfant, lui, saura la détecter. Et s'y complaire. Ici, parce que Coraline accuse sa vie d'être un peu ennuyeuse (même ses jouets sont ternes), elle se réfugie dans cet autre monde terriblement romanesque, qui lui dévoile comment les choses pourraient être... si elle décidait de quitter sa vie normale, de rester « pour toujours et à jamais » avec son autre mère, son autre père. Car oui, ce monde étrange fonctionne comme un miroir (aux reflets douteux, certes) : de l'autre côté de la porte, elle a une nouvelle mère, identique à la sienne si ce n'est qu'à la place des yeux, elle porte deux boutons. Tout le monde, ici, a des boutons à la place des yeux (et si Coraline accepte de vivre dans cet univers-là, il faudra qu'elle renonce elle-même à son regard). Son autre mère tente par tous les moyens de la séduire, de l'enchanter, de l'amuser, pour lui prouver qu'elle serait mieux à ses côtés.
Mais très vite, Coraline remarque que des choses clochent : au goûter, on ne lui propose pas du chocolat, mais des cafards. Les rats deviennent d'adorables animaux de compagnie - alors que le chat noir (seul allié de Coraline dans cette aventure) est considéré comme un pestiféré par l'autre mère.
Le piège se referme bientôt derrière Coraline - et si elle veut retourner chez elle un jour, il faudra qu'elle remporte certaines épreuves...
« D'un seul mouvement, quelque chose de velu vint se blottir avec insistance contre son flanc. Coraline fit un bond, puis poussa un soupir de soulagement.
« Ah, c'est toi, dit-elle au chat noir.
- Tu vois ? Fit-il en retour. Tu n'as pas eu tant de mal que ça à me reconnaître, même si je ne porte pas de nom.
- D'accord, mais comment ferais-je si je voulais t'appeler ? »
Il fronça le nez et se débrouilla pour avoir l'air peu impressionné. « Appeler les chats, c'est très surfait. Autant appeler une tornade. »
Neil Gaiman déploie beaucoup d'idées dans un roman relativement court, et cette énergie constante rythme joyeusement les aventures de Coraline. Encore que, j'écris joyeusement, mais cette histoire est loin d'être gentillette, naïve. L'autre monde est sombre, on sent que là-bas, tout pourrait basculer au moindre faux pas, et Coraline d'ailleurs rencontrera des enfants qui en ont payé les frais... L'ensemble est incroyablement riche et passionnant, d'une intelligence remarquable. Je me tourne rarement vers la littérature jeunesse, craignant le flot de niaiserie ou de discours stéréotypés, et j'ai été enchantée d'être détrompée par Coraline. Même le lecteur adulte s'interroge sur certains faits, ou s'amuse de certaines scènes. La petite fille, fonctionnant comme une Alice moderne, est amenée à se débrouiller seule dans un monde dont le sens exact lui échappe, perdue entre ses désirs (dans l'autre monde, son placard regorge d'habits dont elle a toujours rêvé) et ses peurs (après avoir toisé son autre mère, elle est enfermée dans un sombre placard). Ce qu'elle désire vraiment devient flou; peut-être qu'elle s'ennuyait un peu avec ses parents, mais maintenant, ils lui manquent. Heureusement, aidé par l'un des plus merveilleux chats de la littérature (mon personnage préféré, dans ce roman, sans aucune hésitation) et par un étrange caillou percé, Coraline parviendra à affronter son autre mère...
Je ne sais pas s'il y a vraiment une morale à retenir de tout cela; finalement, la sagesse du propos final est presque trop classique pour me séduire totalement, mais je comprends que ça puisse marcher sur un lectorat un petit peu plus jeune. Coraline est vraiment un roman à recommander aux enfants qui n'ont pas de problème de sommeil (ou ils peuvent en avoir. Un petit peu).
« - Qu'est-ce qui me dit que vous tiendrez parole ? Insista-t-elle.
- Je te le jure. Je le jure sur la tombe de ma pauvre mère.
- Elle a vraiment une tombe ?
- Mais certainement. C'est moi-même qui l'y ai ensevelie. Et quand je l'ai surprise à vouloir en sortir, je l'y ai promptement remise. »
Parmi les lectrices conquises, on trouve Karine:), Ofelia (les images de son billet ont disparu, je suis sûre qu'elles ont été avalées par l'autre mère), Cachou, SBM, Lily...