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N.u.l.l.e.
15 janvier 2010

Pendant ce temps, à Yoknapatawpha

Une rose pour Emily et autres nouvelles
un faux recueil initialement écrit par William Faulkner
mais pour faire de l'argent, on a séparé quatre nouvelles et on les a vendues à 2 €
129 pages traduites par l'habituel Maurice-Edgar Coindreau
mais aussi par R.-N. Raimbault et Ch.-P. Vorce

http://ecx.images-amazon.com/images/I/513S3R89TBL._SL500_AA240_.jpg

Ainsi en va toujours de cette affreuse collection Folio à 2€ : on a la sensation d'avoir été dupé. En général, il faut bien le dire, les nouvelles qu'ils publient sont assez mineures, ou peu représentatives d'un auteur (c'est donc un mauvais choix pour découvrir une plume qu'on ne sait pas trop comment aborder).
Ici, j'ai été dupée, mais c'est ma faute. J'aurais dû feuilleter le recueil avant de l'acheter bêtement parce-que-ça-ne-fait-que-deux-euros. J'aurais alors remarqué que ces quatre nouvelles ont été publiées initialement dans un recueil plus vaste, Treize histoires (publié en 1931); et probablement que j'aurais alors acheté le recueil complet. Je ne comprends pas l'intérêt (si ce n'est marketing) de disséquer une œuvre en petits morceaux, pour l'offrir plus digestement à un public pressé d'aller à l'essentiel.
Mais, soit.

Nous trouvons quatre textes de Faulkner ici, et le plus simple est de vous les présenter séparément :
- Une rose pour Emily (dont Lilly vous a parlé
ici) est une superbe et triste histoire qui tourne autour d'une étrange femme (Emily, je me sens stupide de le préciser) qui ne s'est jamais mariée et qui a doucement renoncé à sortir de chez elle, laissant son domestique noir se frotter au monde extérieur à sa place. Lorsqu'elle décède, à 74 ans, les vieilles voisines assoiffées de curiosité s'approchent de la maison pour comprendre le mystère de la vie d'Emily... Un texte aux résonances dickensiennes, où l'on rencontre une Miss Havisham du Sud des États-Unis, cloîtrée dans son passé, oubliant que la vie continue, dehors.

- Chevelure a ce premier paragraphe qui en dit déjà long sur la suite de l'histoire : « Cette fille, cette Susan Reed, était orpheline. Elle vivait avec des gens appelés Burchett, qui avaient d'autres enfants, deux ou trois enfants. Certains disaient que Susan était une nièce, une cousine, quelque chose comme cela; d'autres répandaient sur la moralité de Burchett et même de Mme Burchett les habituelles médisances. Vous savez ce que c'est. C'étaient surtout les femmes. »
Admirez comme en quelques lignes, en quelques phrases, Faulkner cerne merveilleusement l'âme humaine, sa propension aux commérages (quand sa vie est vide, on la remplit comme on peut), le juste doute qu'on peut éprouver devant ces racontars qui se discréditent entre eux, on sent le jugement de l'homme, celui qui observe ses voisins, caché derrière ses rideaux opaques.
Susan est une jeune enfant sauvage, apeurée dès qu'elle doit aller chez le coiffeur - elle n'accepte que les ciseaux d'Hawkshaw, cet étrange employé qui passe ses quinze jours de congés annuels loin de la ville, ce qui intrigue énormément ceux qui le côtoient... Alors, Faulkner nous raconte, jusqu'à la révélation finale, ces petites vies qui tentent d'avancer dans les ruelles chaudes de Jefferson.

- Soleil couchant se passez chez les Compson. Cela vous rappelle quelques vagues souvenirs ? C'est la famille présentée dans Le bruit et la fureur. Les retrouver ici, alors que je ne m'y attendais pas, m'a touchée. Ici, on s'intéresse plus particulièrement à Nancy, une des Noires à leur service, qui est terrorisée par son mari (Jésus) (...) qui l'a quittée après avoir appris son infidélité. Elle reste persuadée qu'il la guette, la nuit, caché dans un fossé, et n'ose plus rentrer seule chez elle, emportant les enfants Compson pour lui tenir compagnie... C'est une nouvelle "sans chute", plutôt une tranche de vie avec cette atmosphère typiquement faulknerienne, où le moindre propos résonne différemment, où tout s'enveloppe de mystère, où l'on est ému par ces familles étranges qui semblent incapables de vivre normalement. Une nouvelle qui pourrait paraître minime, qui a l'air de rien, mais qui frappe malgré tout.

- Septembre ardent se base sur un drame qui est apparemment arrivé à Jefferson : une des habitantes aurait été agressée par un Noir. On accuse Will Mayes, mais Hawkshaw (le même coiffeur que dans la seconde nouvelle, parfaitement) essaie de le défendre comme il peut - en vain. Parce qu'il faut un coupable (à un fait dont on n'a aucune preuve - la "victime" elle-même n'ayant rien dit), parce qu'il faut donner une leçon, une injustice survient sur une route désertée, loin de tout témoin. Et là encore, aucune chute remarquable, il s'agit juste de raconter un événement, et de le retranscrire le plus fidèlement possible, sans chercher à broder autour, sans tenter d'attendrir le lecteur par des manières doucereuses.

C'est là d'ailleurs l'un des immenses talents de Faulkner; nous raconter trois fois rien et transformer ça en beauté littéraire. J'ai été soufflée par la qualité de ces textes, par leur force et leur caractère tragique (tout individu qui met les pieds à Yoknapatawpha semble condamné), et cette lecture a été un régal de A à Z. Oui, ça manque d'argument. En revanche, ce qui ne me manque pas, c'est l'envie de retrouver Faulkner, bientôt. Très bientôt. Un auteur de cette trempe, c'est précieux.

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Commentaires
E
* Hambre, je reconnais bien là ton côté fille, il n'y a qu'une personne de sexe féminin pour dire que le rose, c'est très joli ! ;-))
H
J'aimerais bien les lire !!! la couverture là est très jolie :)
E
* Melanie B, je continue de respirer comme je peux, alors, éternellement encombrée par un chaleureux rhume, mais secrètement, je croise un peu les doigts, quand même...
M
Si jamais je change d'avis, tu seras la première informée, promis ! Mais ne retiens pas ton souffle en attendant, surtout, c'est trop dangereux...
E
* Melanie B, j'ai trouvé quelque chose de collector, oui, dans le sens où je me demande comment ils ont pu concevoir un truc pareil. Mais, devant la pénurie d'annonces correspondant à mes critères, j'ai accepté :-)<br /> <br /> Quant au reste, je comprends, évidemment. C'est toujours le grand point noir, le temps... Dommage pour nous, en tout cas !
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