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N.u.l.l.e.
26 avril 2010

« Tu me manques mon amour et je ne sais pas le dire »

C'est une histoire qui a commencé un samedi de juin, l'année dernière. Comme toujours lors de ce festival littéraire toulousain, la ville rose affiche des températures scandaleuses, insupportables. Même en fin de journée.
Quelques happy few (que je laisse dans l'anonymat par simple paresse de mettre les liens vers leurs blogs respectifs) et moi-même sommes là pour écouter Bernard Giraudeau lire des extraits de son dernier roman, Cher amour.
Un coup de foudre.
L'écouter devient un voyage en soi, une rêverie exotique bercée par ses mots d'ailleurs. Oui, ça ne veut rien dire - qu'importe, ce n'est qu'un rêve. Il y a cette phrase, que j'attrape au vol et écris sur un papier avant de l'oublier :

« C'est à vivre, pas à dire, c'est à aimer, pas à écrire. »

Voilà, c'est comme ça que ça a commencé.

Cher amour
de Bernard Giraudeau
Métailié, 2009, 265 pages

http://florentine.typepad.com/.a/6a00d8341c605c53ef01156fac67fb970c-800wi

Ensuite, il y a le livre lui-même; que j'ai tardé à lire, oui, c'est vrai. Mais les histoires d'amour me font toujours un peu peur, même quand elles sont vécues par d'autres. Allez comprendre.
Cette histoire-là a été écrite pour Madame T.; ce n'est pas une simple dédicace, c'est une déclaration d'amour incroyable. Giraudeau voyage en pensant à cette femme, c'est encore à elle qu'il pense quand il voit des paysages merveilleux, quand il rencontre la misère, quand il monte sur scène et qu'il a le trac.
Madame T., c'est son amour, son rêve éveillé. Pourtant, il ne la connaît pas; il se contente de l'imaginer, d'espérer une rencontre, une vie avec elle. Madame T. est un fantôme idéal. Au final, le lecteur ne saura pas si c'est une chimère absolue ou une admiratrice qui aurait engagé une correspondance avec l'acteur et qui aurait créé, par là, des liens forts et mystérieux.
C'est mieux de ne pas savoir, cela laisse de la place pour le rêve.
Et c'est toujours mieux de rêver.

« Depuis quelques jours, je rêve de quitter le quai pour d'autres terres. Comme les chiens, je tourne en rond avant de trouver ma place, et je ne la trouve pas. »

Cet amour est le fil d'or du roman, comme si c'était lui qui permettait de broder l'ensemble, avec délicatesse. Ainsi, autour de lui, gravitent d'autres points, lumineux et sombres. Bernard Giraudeau raconte ce qu'il vit quand il part à l'étranger, généralement pour un tournage de film. Il ne peut s'empêcher, dès lors, de se lever aux aurores ou de s'éclipser quelques jours pour partir voir le pays. Le voir réellement, loin de sa chambre d'hôtel cinq étoiles, loin de son confort d'acteur.
Ce qui intéresse le narrateur, plus que tout, c'est la rencontre. Avec un paysage, un village, une route, un gamin, une famille. Bernard Giraudeau filme parce que les mots ne pourraient que réduire, malmener ce qu'il a l'occasion d'observer. Et évidemment, quand on part au Cambodge, au Chili, en Amazonie, on ne rencontre pas que de belles choses. Il y a des visions qui donnent la nausée, qui nous rendent honteux de notre condition d'occidental privilégié.
Si Bernard Giraudeau voyage, c'est pour grandir.
Pour donner un sens à cette curieuse chose qu'est l'existence.
Pour ressentir, tout au fond de soi, et même si ça fait mal, qu'on est vivant.

« Quelqu'un disait : la souffrance est le dernier nœud vivant. Je suis vivant.
Où êtes-vous, mon amour, en ces instants difficiles... »

Oui, cela peut paraître cliché; risible. Mais cette démarche m'a personnellement émue. Je crois comprendre ce qu'il cherchait, ce qu'il cherche - même si désormais, le voyage est intérieur.
Oh, il l'était déjà, avec les scènes de théâtre. Avec ces rôles dont il s'imprégnait jusqu'à s'en rendre malade. Avec cette vie, cette force qu'il offrait au public à chaque représentation. L'écouter parler de son métier (ou plutôt de sa vocation) fait du bien. Ce fou a réussi à me toucher en imbriquant Shakespeare dans un de ses voyages - à ce moment-là, il apprenait son texte, il allait incarner Richard III.
Ce fou, oui, a réussi à me donner envie de lire Shakespeare.

Puis la maladie :

« Il m'a semblé que j'étais finalement un chercheur, sans me trouver naturellement, et que le corps, fatigué de cette recherche impossible, un jour est tombé pour que je m'approfondisse. J'avais une vocation, celle de m'élever au-dessus de l'ordinaire, d'une vie conventionnelle, une vie d'horloge. Et maintenant que le corps s'affaissait, il fallait envisager la vie autrement, regarder autrement, vivre, simplement vivre. »

Il n'y a pas de mots pour parler de la maladie - ou du moins, je ne les ai pas.
Le narrateur est tombé malade, une première fois mais, après la peur, après la souffrance, il parvient à écrire : « Me voilà avec un rein en moins, un rein ce n'est rien, l'autre suffit amplement. »
Il continue. De voyager, d'écrire, de jouer. Il comprend l'avertissement mais en profite pour vivre encore plus. Jusqu'aux représentations de Richard III, justement, où, essoufflé, l'acteur a dû renoncer à son engagement en cours de route. La maladie, cette pute, l'avait retrouvé.
Alors oui, clairement, il faut envisager la vie autrement. Depuis, si je ne m'abuse, Bernard Giraudeau n'a plus fait de théâtre ni de cinéma. Un voyage, encore moins.
Quand on va mal, il reste l'écriture, l'espoir, l'amour, le rêve.
C'est peut-être pour cela, après tout, que l'auteur écrit toutes ses lettres* à Madame T. Qu'il lui raconte ces légendes d'autrefois, ses voyages de misère, ses envies amoureuses. On se console et on vit comme on peut.

Cher amour est un roman à la beauté sincère; et ses imperfections le rendent encore plus attachant, plus humain. C'est un roman qui donne envie d'ouvrir les yeux sur ce qui nous entoure (un roman qui, accessoirement, donne très envie de visionner les documentaires tournés par Bernard Giraudeau), un roman qui pince et qui caresse à la fois.
Et tant pis si mes propos manquent cruellement d'arguments.

« Apprenez-moi à vivre comme on n'apprend pas à être un enfant. Apprenez-moi la mort comme l'autre vie, le chant du silence.

Brille, beau soleil, le temps d'acheter un miroir,
Que je puisse en chemin danser avec mon ombre. »

(ces deux vers sont de Shakespeare)

Il me semblait avoir lu plusieurs billets sur ce roman, mais je ne retrouve que celui de Leiloona. Que les oubliés se manifestent en commentaires, ou pas.

* oui, on veut nous faire croire que c'est un roman épistolaire. Mais comme j'ai aimé, je peux vous dire qu'en réalité, c'est plus un journal adressé à une personne en particulier qu'un véritable recueil de lettres.

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Commentaires
C
très beau billet, très belle lecture par l'auteur à l'époque!
E
* Mo, alors effectivement, son absence peut laisser croire qu'il préfère se reposer plutôt que d'être mêlé à la foule - ce qui peut se comprendre...<br /> <br /> * Anjelica, j'ai presque envie de te répondre que, "dans le doute, abstiens-toi", mais je sais qu'une Toulousaine à la PàL exorbitante (je ne citerai pas de nom, évidemment...) l'a acheté après cette lecture, tu peux toujours y jeter un oeil si l'envie t'en prend un jour... :-)<br /> <br /> * Chiffonnette, attends quand même l'avis d'Amanda (qui est en train de le lire), peut-être qu'un autre avis tempérera un peu mon enthousiasme totalement subjectif ;-)
C
Je suis passée devant en pensant à toi ce matin, et je pense que je vais aller m'y plonger, parce qu'un tel bonheur de lecture, il n'y en a pas assez!
A
Je suis convaincue que c'est une belle lecture et cet homme semble passionné et passionnant mais je ne sais pas si je suis faite pour ce genre de romans...
M
En fait c'est un habitué du festival - ce festival est bien pour ça aussi, les auteurs ne viennent pas juste pour faire de la promo!
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