« Les crimes entraînent leur propre châtiment »
La dame en blanc
Wilkie Collins (The woman in white, 1860)
traduction de L. Lenob, Phébus Libretto, 554 pages
Il y a des fois, comme ça, où on ne sait pas par quel bout commencer. Alors on papillonne, on cherche l'inspiration dans une tasse de thé, dans les cris des enfants qu'on entend jouer dehors (c'est poétique, n'est-ce pas), et finalement on se retrouve à fureter dans les billets déjà écrits, jusqu'à ce qu'on relise cette phrase de cette chère Renarde : "L’impression générale que me laisse ce livre est similaire à celle créée par la contemplation d'une œuvre de Turner."
Et là, on comprend tout, Turner ne nous avait pas enchantée, non, alors pourquoi en serait-il allé autrement avec Collins ?
Puis, une fois qu'on a écrit ça, se rendre compte que ce début est pire que foireux, qu'on a lu le roman bien avant de voir l'exposition, que le rapprochement ne tient dans ma propre vision de ces deux œuvres (littéraire - picturale), et que ça suffit de se cacher derrière des prétextes, parle-nous du roman, un peu, maintenant.
« Cette histoire montre avec quel courage une femme peut supporter les épreuves de la vie et ce dont un homme est capable pour arriver à ses fins. »
Alors.
Si comme moi, les mots "dame en blanc" vous font frissonner par anticipation, le début du roman ne peut qu'attiser cette appréhension.
Voyez cet homme, Walter Hartright, qui se promène sur une route excentrée de la banlieue londonienne, toutes pensées tournées vers la nouvelle expérience qui l'attend - professeur de dessin, il partira dès le lendemain à Limmeridge House, où il enseignera son art à deux jeunes filles, Marian Halcombe et sa demi-sœur Laura. Alors qu'il pense à ce futur proche, une femme surgit d'on ne sait où. Elle paraît perdue, affolée. Elle est habillée d'une longue robe blanche, et cherche le chemin de Londres, tout en proférant des paroles troublantes. Mais Walter lui montre la route à suivre.
C'est en arrivant à Limmeridge House que Walter sera complètement stupéfait : la jeune et séduisante Laura lui rappelle cette dame en blanc. Des sentiments naissent entre eux mais les professeurs de dessin n'épousent pas les jeunes filles de bonne famille, et c'est avec regret que tous deux doivent se séparer - d'autant plus que Laura est promise à un autre homme, Sir Percival, et qu'on ne peut définitivement rivaliser avec un homme de son rang.
Pourtant, certains détails avertissent Walter à propos de ce mariage; quelque chose lui paraît louche, indésirable. Mais qu'importe, brisé par son chagrin d'amour, il quitte l'Angleterre. Quand il reviendra, un an plus tard, tout aura bien changé.
Avec la complicité de Marian, il sera emporté dans un flot d'aventures dangereuses, où il lui faudra affronter des rancoeurs, des mensonges et des hommes, avant de s'apercevoir que la folie de la Dame en blanc, finalement, n'était que raison...
« - Je suis à moitié morte de peur, a-t-elle dit. Qui cela pouvait-il être ?
- Nous essaierons de le savoir demain, chérie, mais en attendant, n'en parle à personne.
- Pourquoi ?
- Parce que le silence est sûr et que nous avons besoin de sécurité dans cette maison. »
Certains d'entre vous trouveront peut-être ma présentation fantaisiste, je ne peux le nier, j'ai brodé certains passages selon mes souvenirs, sans me soucier de la véracité de mon propos. C'est encore mon blog, j'écris comme je veux - l'essentiel étant respecté, n'ayez crainte.
Ainsi donc, La dame en blanc est un roman intriguant, et ce au premier sens du terme. Les différents chapitres ne cessent de mettre à jours complots et conspirations malines, de manière à captiver le lecteur jusqu'au dénouement final.
La construction du récit est déjà intéressante en soi; le préambule nous avertit que l'histoire sera prise en charge par différents narrateurs, prenant alors la forme d'une enquête policière menée a posteriori des événements, comme pour enfin comprendre tous les éléments de l'histoire, et leur logique. Tour à tour, le professeur de dessin, Marian, son oncle hypocondriaque (un personnage hilarant et infréquentable), mais aussi des domestiques, un avocat, et d'autres figures que je garde secrètes, racontent ce dont ils ont été témoins, sous forme de journal, de compte-rendu officiel ou même d'un semblant de déposition. Les compte-rendus ayant généralement été écrits après les faits relatés, le lecteur a droit à certains sous-entendus qui ne sont présents que pour aiguiser sa curiosité. Voilà qui est drôlement habile.
Cette polyphonie participe clairement au charme du roman, on a l'impression qu'un puzzle se dessine sous nos yeux, mais un puzzle où les pièces principales nous seraient cachées, embrumées, jusqu'à l'épilogue.
Bien sûr, que le résultat est captivant par bien des aspects; l'écriture de Collins, déjà, est délicieusement raffinée, ce qui fait de ce roman une compagnie tout à fait appréciable. Malgré tout, j'ai éprouvé à ma lecture une certaine retenue qui m'a empêchée d'adhérer complètement à l'histoire qui m'était racontée. Quelque chose, dans les personnages bienveillants, les fait apparaître comme presque caricaturaux; la constance de leurs sentiments, leur persévérance aveugle, l'invraisemblance de certains de leurs combats ne jouent pas en leur faveur. Même les personnages plus mauvais, comme le comte Fosco, souffrent de lacunes (son revirement sentimental frôle le grotesque). La magie victorienne n'a pas su me trouver (ou l'inverse, me direz-vous).
Je ne sais comment évoquer l'intrigue; son traitement est à la fois captivant (il y a des moments où les rebondissements me faisaient oublier tout ce qui pouvait se passer autour de moi) et trop sensationnel pour que j'y adhère.
Evidemment, c'est malhabile de ma part de présenter les choses ainsi; il y a sans doute tout un contexte historique et littéraire à prendre en compte pour être moins subjective. D'autant plus que mes impressions mitigées peuvent faire croire que je me suis ennuyée, or ça n'a pas été le cas. La dame en blanc est un sacré roman qui mérite qu'on s'y attarde. Tout y est pour cultiver le mystère (une chambre cachée dans une demeure sombre, des rencontres dans des cimetières, une église embrasée la nuit, la fameuse dame en blanc au bord de la route, etc), et certains voiles prennent du temps avant d'être levés. Cela vaut le coup de patienter, et d'ouvrir ce roman de Wilkie Collins.
« Vas-tu te briser le cœur pour lui faire plaisir ? Aucun homme en ce monde ne vaut un tel sacrifice ! Les hommes ! Ce sont les ennemis de notre innocence et de notre paix: ils nous accaparent corps et âme, nous séparent de nos proches, lient nos vies sans défense aux leurs comme on attache un chien à sa niche. Et pour nous donner quoi en retour ? »
Et puisqu'une anecdote est toujours bienvenue : le romancier a réellement rencontré une dame en blanc, une nuit où il se promenait. Elle lui demanda de l'aide, voulant s'échapper de chez elle où elle était paraît-il enfermée par son mari. Wilkie Collins la sortira de là, en fera sa maîtresse puis décidera d'écrire un roman avec un incipit proche de cette réalité.
J'espère que Céline continuera à m'adresser la parole. Il y a d'autres personnes qui l'ont lu, évidemment, parmi lesquelles Isil, Manu (réservée sur certains points ô combien compréhensibles), Lilly (je propose un lynchage public), Pimpi (légèrement conquise) et Lou (qui exprime admirablement ce que j'ai pensé, finalement, j'aurais dû me contenter de mettre un lien vers son très bon billet, et m'épargner d'écrire celui-ci).