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N.u.l.l.e.
26 mai 2010

La balle perdue

(titre du premier chapitre)

Une prière pour Owen
de John Irving (A prayer for Owen, 1989)
traduction de Michel Lebrun pour les éditions du Seuil, 699 pages

irving

« Je pense que sa voix vient du démon !
- C'est stupide ! s'insurgea ma grand-mère. Stupide de croire que sa voix vient de Dieu ou du diable ! Elle vient du granit, voilà d'où elle vient ! Depuis qu'il est bébé, il respire toute cette poussière ! C'est ça qui a détruit sa voix et paralysé sa croissance ! »

...

« IL Y A TROIS CHOSES DONT JE SUIS SÛR. JE SAIS QUE MA VOIX NE CHANGERA JAMAIS, ET JE CONNAIS LA DATE DE MA MORT. J'AIMERAIS SAVOIR POURQUOI MA VOIX NE CHANGERA PAS, J'AIMERAIS SAVOIR COMMENT JE VAIS MOURIR; MAIS DIEU M'A PERMIS D'EN SAVOIR PLUS QUE LA PLUPART DES GENS - AUSSI, JE NE ME PLAINS PAS. LA TROISIÈME CHOSE DONT JE SOIS SÛR, C'EST QUE JE SUIS L'INSTRUMENT DE DIEU; JE SAIS QUE DIEU ME FERA SAVOIR CE QUE JE DOIS FAIRE ET QUAND JE DEVRAI LE FAIRE. BONNE ET HEUREUSE ANNÉE ! »

L'air de rien, je viens de vous présenter Owen Meany. Le petit garçon à la voix en majuscule et au physique frêle. Owen, qui surprend toujours quand on le rencontre pour la première fois.
Il est le meilleur ami de John, ils grandissent dans la même petite ville de Gravesend. Owen a ses deux parents mais c'est comme s'ils n'existaient pas - le père travaille dans le granit et dans les pierres tombales, la mère est folle. John, lui, n'a que sa mère, une femme superbe et aimante.
Sauf qu'il arrive parfois de fâcheux incidents, et suite à un renvoi de balle un peu trop forcé lors d'un match de base-ball, Owen tue la mère de son meilleur ami. On pourrait croire que ce genre d'incident peut briser une amitié, or il n'en est rien. Owen reste le petit homme précieux, l'illuminé attachant.
Il existe sans doute de bonnes manières de présenter ce roman, mais aucune ne me vient à l'esprit pour l'instant. Tout ce que je peux dire, c'est qu'Une prière pour Owen est un concentré de folie douce, qui raconte l'histoire d'un pays des années 50 à la fin des années 80, à travers des faits politiques, des drames personnels, des destins à la fois banals et poignants.
Le récit étant pris en charge par John, qui écrit depuis le Canada où il s'est exilé, cela offre une perspective différente aux événements des trente dernières années. Et cette distance permet justement de tirer certaines leçons, ce qui aurait été impossible lors des faits racontés.
Une prière pour Owen part dans tous les sens; de la guerre du Vietnam au mannequin sans tête qui porte une éternelle robe rouge (je comprends enfin cette horrible couverture, qui devient finalement émouvante), en passant par la religion, le base-ball, le granit et un journal universitaire, l'intrigue est touffue, foisonnante, déroutante parfois mais ce qui est raconté paraît toujours tellement justifié et important qu'on ne peut que continuer sa lecture en étant émerveillé par l'imagination et l'organisation de John Irving - pas une seconde il ne semble se perdre dans ce labyrinthe littéraire qu'il a créé et ça en est remarquable.
Comme je l'ai déjà dit, le narrateur s'est exilé au Canada, notamment parce qu'il ne pouvait supporter l'hypocrisie et les scandales du gouvernement américain. Cela donne des pages remarquables sur la situation politique de l'époque, j'étais sidérée de voir un auteur américain proférer autant de reproches sur son propre pays. Il y a une remise en cause totale du système, une lucidité foudroyante, un découragement compréhensible, et ces réflexions sont encore terriblement actuelles, malgré les vingt années passées entre la rédaction du roman et notre époque.

« Oh, quel pays de moralistes est l'Amérique ! Avec quelle délectation les Américains exposent en pleine lumière leurs turpitudes sexuelles ! Dommage qu'ils n'appliquent pas cette règle de moralité à leur président quand il se met hors la loi; dommage qu'ils ne mettent pas un zèle équivalent à purger une administration qui fournit des armes aux terroristes. Mais, bien sûr, le moralisme du plumard nécessite moins d'imagination et surtout moins d'effort que la surveillance de la politique internationale... »

Bien sûr, le roman ne se résume pas à cela; de toute façon, c'est bien simple, il ne se résume pas tout court. Owen Meany ne se raconte pas, il se rencontre. Il changera peut-être votre vision de la religion, de la littérature, de l'amitié.
J'attendais cette rencontre depuis tellement longtemps qu'elle m'a finalement déroutée; une relecture, plus tard, ne sera pas superflue pour mieux cerner les idées, les histoires. Owen reste, à mes yeux, un insaisissable, et certaines de ses réflexions sont tellement éloignées des miennes que je n'ai parfois pas réussi à comprendre ses points de vue.

Qu'importe, le plaisir de lecture était bel et bien là, et je ne peux que remercier Ys de m'avoir offert ce livre en décembre dernier, scandalisée d'apprendre que je n'avais pas pu le lire à cause d'une bibliothécaire malveillante. Grâce à toi, j'ai enfin lu mon premier Irving ! Je vais même pouvoir continuer l'aventure grâce à ma Fiancée qui m'en a offert deux autres (je ne sais pas, ça a vraiment choqué les gens de voir que j'avais pu vivre 24 ans sans lire Irving, je me serais cru en plein Irvingthon, organisé pour me sortir de mon marasme intellectuel).
Euh, BREF.

Et si vous voulez savoir, ce roman est un coup de cœur pour Karine et une excellente lecture pour Manu. Sans doute pour d'autres personnes aussi, mais la pêche aux billets a été maigre.

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Commentaires
E
* Yue Yin, tu veux dire que tu serais d'un caractère naturellement passionné et enthousiaste ? Cela me surprend ! ;-)<br /> <br /> * Uncoindeblog, j'adore quand tu approuves mon bon goût :-))<br /> En ma possession, j'ai "Le monde selon Garp", "L'oeuvre de Dieu..." et "Howards end" ;-))
U
Tu as décidément bon goût. Après E.M. Foster, voilà que tu découvres un autre auteur chouchou de ma bibliothèque. <br /> Pas le courage de lire tous les coms, mais quels sont les autres titres dont tu disposes ?
Y
Oh que j'aime quand tu aimes mes romans préférés Erzie, mon Irving préféré avec l'oeuvre de dieu,la part du diable mais enfin j'ai aimé tout ce que j'ai lu de lui en vrai :-))))
E
* Pickwick, vrai, tu adhères au bon goût de ma fiancée ? Que vous me donnez enviiie, toutes, de lire Irving !<br /> Je ne peux pas encore l'épouser parce qu'on n'a toujours pas réservé de billets d'avion pour Las Vegas (on veut se marier là-bas, avec pour témoins Elvis et Britney), mais on y songe très fortement, ne t'inquiète pas :-))
P
Ah, la couverture fait un peu froid dans le dos quand j'y repense ! Et Ofelia est juste divine : offrir des Irving, c'est beau, c'est très très beau. Surtout si c'est, comme je crois l'avoir compris, Le Monde selon Garp et L'oeuvre de Dieu... parmi les plus beaux livres que la terre ait porté... mais qu'est-ce que tu attends pour l'épouser nom de nom :)))) ?
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