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N.u.l.l.e.
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28 septembre 2009

Les femmes qui ont une ombre finissent mal

Je me souviens être tombée amoureuse de la Russie pendant ma jeune adolescence; quelque chose, dans ces terres lointaines, froides, mystérieuses, m'attirait (et pourtant, je ne connaissais pas encore le goût de la vodka).
Je rêve de me balader sur les berges du fleuve Amour.
Je rêve de voyager en Transsibérien, en choisissant (tout comme pour la promenade au bord du fleuve) la personne idéale pour m'accompagner dans ce périple d'une semaine.

Je me souviens aussi d'avoir vu (et revu...) Le Barbier de Sibérie, film où une Américaine, en partance pour Moscou, rencontre dans son train un jeune officier répondant au nom de Tolstoï...
Elle manque de s'étouffer en lui demandant s'il est de la famille du romancier. Elle est en train de lire Anna Karénine.
Depuis, je voulais lire ce roman.

Anna Karénine
de Léon Tolstoï (1877)
ici : traduction de Sylvie Luneau, pour GF Flammarion (1988)
présentation en deux tomes qui dépassent les 1000 pages

http://ecx.images-amazon.com/images/I/51m-sFQrz8L._SL500_AA240_.jpg http://ecx.images-amazon.com/images/I/51RGD8C45AL._SL500_AA240_.jpg

« Pourquoi souffrons-nous tous, quand tout pourrait être si beau ? »

Pour ceux qui ne connaîtraient pas l'histoire ou qui n'auraient pas eu la fin spoilée dans un des journaux d'Henry Bauchau (on sent le vécu, non ?), je vais tenter de faire mon possible en vous présentant ce roman. Hum.
Puisqu'il peut être intéressant de poser quelques jalons, sachez que l'histoire se passe sur peu de temps (deux, trois ans maximum), à la fin du XIXe siècle en Russie. Ne baillez pas; il s'est passé des choses passionnantes à cette époque-là, et dans ce pays-là.
Quoi ? me demanderez-vous.
Mais des histoires. Des histoires d'amour, vous répondrai-je (en espérant que personne ne rétorquera qu'on n'a pas attendu les années 1880 en Russie pour raconter, décrire, vivre l'amour; je manque d'arguments pour répondre).

Lévine est un propriétaire terrien épris de Kitty qui, elle, encore jeune, semble plus éblouie par le charme de Vronski, un officier sûr de lui et amateur de (belles) femmes.
Lorsque Lévine la demande en mariage, elle refuse; elle croit que, le même soir, Vronski va se déclarer. Or, celui-ci n'a jamais eu le moindre objectif marital. Encore moins depuis quelques jours : en arrivant à Moscou, il a croisé Anna Karénine. C'est le coup de foudre.
Anna Karénine est une beauté qui ne peut pas laisser indifférent; brune, pâle, gracieuse, enchanteresse, habillée des plus belles robes et rayonnant de bonheur, les hommes la convoitent et leurs femmes l'envient.

« La jeune fille sentait qu'Anna était parfaitement simple et ne cachait rien, mais qu'elle portait en elle un autre monde, un monde supérieur d'intérêts poétiques et complexes, qui lui était inaccessible. »
Mais elle n'est pas une menace en soi : cette beauté est mariée à Alexis Alexandrovitch, et a un enfant dont elle raffole.
Les femmes mariées ne commettent pas d'adultère. A part si leur chemin croise celui d'un élégant officier...

Le roman est ainsi construit sur deux intrigues différentes, rattachées l'une à l'autre par des ramifications communes (parmi lesquelles l'histoire de Dolly et de Stépane, ce dernier étant le frère d'Anna et son épouse étant la sœur de Kitty). A travers ces trois couples, Tolstoï dresse différents portraits de l'amour, et ces trois chemins, si différents, exploitent diverses faces complexes de ce sentiment troublant.
Anna, bien entendu, succombera à son attachement à Vronski, et partagera avec lui les meilleurs instants de sa vie - assombris, malgré tout, par le regard accusateur de la société, par l'absence de son fils (qu'elle n'a plus le droit de voir), par l'arrogance de son mari, qui refuse obstinément le divorce (« Je ne peux pas être malheureux, mais ni elle ni lui ne doivent être heureux ! »). Anna Karénine quittera le pays, y reviendra, tentera de renouer avec la société bourgeoise... mais sa conduite fait d'elle une pestiférée, une femme qu'on ne peut recevoir sous peine de se déshonorer soi-même.
L'histoire de Dolly et Stépane fonctionne comme un miroir inversé : ici, c'est l'homme qui trompe sa femme.
« Un bel homme de trente-quatre ans, sensuel comme il l'était, ne pouvait pas se repentir de n'être plus amoureux de sa femme, mère de sept enfants dont cinq vivants, et d'un an seulement plus jeune que lui. »
Sa conduite détruit Dolly, encore amoureuse de son mari; elle l'est tellement, d'ailleurs, qu'elle continuera d'accepter cette vie de mensonges, Stépane n'hésitant pas à la tromper à la moindre occasion. Il n'y a pas de problème : les hommes ont le droit.
Enfin, on retrouve Kitty et Lévine, qui se chercheront longtemps avant que la jeune fille admette que ce mariage, avec Lévine, pourrait bien être le plus grand bonheur de sa vie. Une fois que leurs retrouvailles sont soudées, ils forment un couple idyllique, chaque conjoint étant constamment soucieux des pensées de l'autre, espérant ainsi ne pas le froisser ni le blesser par une conduite hasardeuse. Les liens qui les unissent rendent leur histoire terriblement émouvante, attachante; même s'ils se rendront compte que se soucier en permanence du bonheur de l'autre est une tâche éprouvante.

« Maintenant tout va changer. C'est une sottise que de ne pas accepter la vie, que de vouloir renier le passé. Il faut lutter pour vivre mieux, beaucoup mieux... »

Tout ceci est vraiment une présentation grossière, car Anna Karénine ne pourrait être réduit à aussi peu d'éléments. Le roman est riche de descriptions de la société russe de l'époque, des conditions de vie des paysans, des bouleversements qui attendent le pays. Certains personnages sont aussi empreints de pensées philosophiques, Lévine en tête, qui est partagé entre une image très terrienne de la vie, et des considérations beaucoup plus profondes et vertigineuses, concernant la mort, le sens de la vie, l'intérêt de toute cette mascarade. En cela, je crois que Lévine est le personnage que j'ai le plus apprécié. C'est un humain conscient de ses failles, un homme d'abord étouffé par sa solitude et ensuite par un bonheur qu'il ne contrôle plus. Il vit au contact des paysans tout en cultivant pour lui-même une réalité plus riche que les apparences ne laissent supposer.
Evidemment, il n'est pas le seul personnage intéressant du roman; le grand talent de Tolstoï vient justement de sa peinture si délicate et si juste des sentiments humains, qui peuvent détruire un être à force d'être ressassés. L'évolution d'Anna, en particulier, est incroyable à suivre; d'abord intransigeante quant au fait de ne pas perdre son fils, elle sacrifiera cet amour maternel pour connaître le bonheur avec Vronski (elle dira d'ailleurs plusieurs fois : « je suis impardonnablement heureuse. »). Cet amour bouleverse parce qu'il est réel et parce qu'on sait qu'il ne pourra pas résister éternellement à la pression (extérieure, de la société, mais aussi intérieure, car Anna, au fil du temps, se ronge elle-même de jalousie). Il faudra trouver une solution, une échappatoire.

« Il veut me prouver que son amour pour moi ne doit pas entraver sa liberté. Mais je n'ai pas besoin de preuves, je n'ai besoin que d'amour. »

Contrairement à ce qu'on pourrait croire (= à ce que je croyais), le style de Tolstoï n'est pas obscur ni alambiqué; on se fait tout un monde de la littérature russe, mais je vous assure qu'ici, l'œuvre est entièrement accessible. Même les personnages, dont les noms sont parfois compliqués, restent clairement identifiables (Léon ne s'amuse pas comme son collègue Dostoïevski à rajouter des surnoms à rallonge aux différents protagonistes). De fait, rentrer dans l'atmosphère de ce roman se fait sans difficulté; il y a quelques passages languissants (j'avoue avoir moi-même sauté certaines pages consacrées à la chasse et à la politique) mais ils restent minimes. Le grand talent de Tolstoï est exposé dans la description de la nature humaine, de ses humeurs changeantes, des dilemmes que l'on peut vivre, soi-même, au cours de son existence. De ce côté, le roman atteint une telle profondeur que ça en est presque miraculeux. Et, quand on termine la lecture et qu'on retourne voir les premières pages, on est étourdis par l'évolution des personnages, les tempêtes qu'ils ont essuyées (tant bien que mal...). Ce vertige participe à la qualité du roman, qui sait être agréable de bout en bout. Malgré certains grands éclats de beauté, malgré la richesse de l'intrigue, Anna Karénine n'a pas su me toucher autant que je l'aurais cru; ou disons que le bouleversement que j'attendais n'a pas eu lieu. C'est un grand roman, oui, mais guère plus à mes yeux. Ce qui est déjà colossal.

« Ne vous dépêchez pas tant, dit-elle en pensée à un groupe installé dans une calèche traînée par quatre chevaux et qui, manifestement, partait s'amuser à la campagne. Le chien même que vous emmenez ne peut vous venir en aide. Vous ne vous échapperez pas de vous-mêmes. »

J'ai voulu par la suite tenter de regarder une adaptation cinématographique, celle où Anna est incarnée par Vivien Leigh. J'ai été incapable de m'intéresser au film (que j'ai arrêté en cours de route), tant les personnages étaient loin de ceux que j'avais imaginés. Et vouloir résumer ce grand livre en moins de deux heures, cela ressemble pour moi à du sabotage. Je crois ne plus avoir envie de regarder des adaptations de livres.

Ce qui n'est pas le cas de Levraoueg; totalement charmée par le roman, elle a continué en regardant une, non, deux, non, trois adaptations de ce roman au cinéma... Karine et Romanza ont aussi lu ce roman.

La lecture d'Anna Karénine entre :
- dans mon challenge blog-o-trésor, puisque ce livre est un des trésors de
Praline, de Romanza et de Virginie. Merci pour cette belle découverte !
- dans la lecture du club Lire et Délires (la rencontre a eu lieu samedi), où on avait pour thème la littérature classique. Tout un programme !
Anjie a lu
Tess d'Uberville de Thomas Hardy. Isabelle a lu La fortune des Rougon d'Emile Zola (vous trouverez son avis dans la deuxième partie du billet). Ankya a honteusement fait semblant de ne pas être concernée par le thème, sous le prétexte fallacieux qu'elle rejoignait le club pour la première fois (on réfléchit à un gage). Alors que, dans le même temps, notre expatriée adorée, Ofelia, a tenu à participer en nous présentant Les mystères d'Udolphe d'Ann Radcliffe, et nous saluons son attitude bien plus consciencieuse que celle d'Ankya (et toc !) (vous remarquez comme je suis pour la paix dans le club).
Anne-Laure n'a pas réussi à terminer L'écume des jours de Vian; Bluegrey, absente, nous présente sur son blog A l'ouest rien de nouveau de Remarque. Choupynette vous dévoile les dessous de notre rencontre.

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Commentaires
F
Commentaire du commentaire ou du livre; Ce qui manque dans ton commentaire par ailleurs très bon c'est juste pour moi la présence de la nature où en parvenant à ne faire plus qu'un on échappe à la solitude et finitude humaine(j'ai adoré le passage où Lévine avec les autres paysans fauche et c'est un moment des plus heureux de son existence)ensuite l'amour, la passion avec sa femme au fond semble vite ne plus l'exalter et se transforme très raidement en amour matrimonial chrétien Kitty est une femme pratique sans angoisse métaphysique. Lévine lorsqu'il rencontre Anna en tombe amoureux mais il résiste au vertige. Anna est peut-être le double de Tolstoï comme Madame Bovarie celui de Flaubert, un danger auquel il a échappé: chercher dans la passion amoureuse une transcendance. Kitty (comme sa soeur-quelle bonne éducatrice!- et Anna avec son fils) échappe à sa solitude avec son enfant, Lévine dans son devoir de les protéger ne trouve pas vraiment de sens à sa vie,sa femme par son amour l'apaise et l'adoucit mais il est en quête de Dieu qu'il trouve en lui par l'abolition de l'égoïsme et la connexion à l'humanité dans la volonté de faire du Bien et l'amour de son prochain.Importance des problèmes sociaux et du paysan russe car c'est ce qui relie les hommes entre eux et à la terre, c'est très bouddhiste...
E
* Karine, je suis sûre que j'aurais été plus marquée encore en le lisant plus jeune, mais je suis une paresseuse de la lecture :-)<br /> Le relire, je trouve que tu as une bonne idée !
K
Ce roman a carrément marqué mon adolescence... j'ai adoré, vraiment!!! Bon, les divagations sur les paysans russes, un peu moins... mais il faut que je relise!!!
E
* Lilly, je suis bien contente que tu aies commencé par Boulgakov, il fait partie des auteurs que je devrai découvrir un jour ou l'autre, et tu essuies les plâtres à ma place ;-)<br /> "Anna Karénine" pourrait bien te plaire, oui.
L
C'est marrant, moi aussi je me suis mise aux russes, mais j'ai choisi Boulgakov, ce qui est une idée curieuse, parce que "Le Maître et Marguerite" est vraiment un drôle de bouquin, sans doute moins pour moi que Tolstoï. Et je te rassure, quand ce n'est pas Henry, quelqu'un d'autre se charge de spoiler la fin d'Anna Karénine. Il faut absolument que je le lise !
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