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N.u.l.l.e.
1 juillet 2007

Big Brother vous regarde

1984
de George Orwell (1948)
traduit de l'anglais par Amélie Audiberti

Il y a des bouquins qu'on laisse traîner trop longtemps dans sa bibliothèque avant de se résoudre à les ouvrir. Il y a aussi des bouquins qui sont d'un pessimisme tel que vous avez envie de les abandonner mais, parce qu'ils sont excellents et parce que vous savez que vous avez quelque chose à apprendre avec eux, vous continuez. Et vous avez raison.
Il en fut ainsi avec un certain Désert des Tartares (D. Buzzati) que j'ai d'ailleurs été incapable d'aborder par écrit. 1984 est de la même veine, absolument pas dans l'histoire (qu'on soit bien d'accord), mais dans l'envie de se débattre contre un ordre qui ne nous convient pas, qui nous étouffe. 1984, comme Le Désert des Tartares il y a quelques mois, m'a déprimée et je n'avais franchement pas besoin de ça en ce moment. Mais paraît que la (bonne) littérature ne s'abreuve pas de bons sentiments et de happy end. Si c'est vrai, 1984 est alors de la très très bonne littérature.
Winston Smith est un habitant de l'Océania, l'un des trois "continents" existant. Là-bas, un mot comme liberté a perdu tout son sens. Il n'est pas question de penser par soi-même. De désapprouver le gouvernement mis en place. D'échapper à l'observation constante des espions qui traquent les rebelles (qui ne le sont jamais dans leurs gestes - on ne leur laisse pas le temps d'en arriver là). Nous sommes en 1984, voici l'ère de Big Brother. Chacun de vos gestes est épié. Chacune de vos paroles. Chacun de vos regards. Le passé n'existe plus - Big Brother modifie tout, selon son humeur. Le tout est de maîtriser les apparences. Faire croire que les hommes ont droit à plus de privilèges, alors que tout se restreint. Les livres sont censurés, les articles de presse réécrits en permanence. Des gens disparaissent parce qu'ils ont commis le crime de penser. On les tue, et on efface toute trace de leur présence sur terre. Ils sont oubliés. Tout est oublié. Sauf pour Winston Smith, qui remarque les incohérences (une semaine, l'Océania est en guerre contre l'Eurasia, et la semaine d'après ils affirment que les bombes sont lâchés contre l'Estasia, et ce depuis toujours), qui se souvient d'un autre temps, où la liberté (sous toutes ces formes) existait. Le danger le guette et pourtant, il refuse de croire aux mensonges et se plier face à Big Brother...
George Orwell décrit un monde futuriste totalement angoissant et cynique, probablement exagéré mais pas tant que ça, quand on y pense. La dictature, l'omniprésence des "caméras" (appelés télécrans), l'impossibilité absolue de penser autrement que ce que Big Brother impose sous peine de mort (il est d'ailleurs dit "Le crime de penser n'entraîne pas la mort. Le crime de penser est la mort."), bref, ces procédés pour aliéner le peuple, le rendre esclave et inconscient de ce qui se passe, sont terrifiants. En suivant Winston Smith, on se rend compte que la rebellion ne peut pas exister dans un tel monde; le pouvoir ne peut pas être renversé parce que les gens n'ont pas réagi à temps. A partir du moment où on est suivi, observé, manipulé en permanence, les dés sont jetés. Les quelques inconscients qui osent espérer un infime changement sont gentiment évaporés
1984 est un roman de science-fiction qui a un goût amer aujourd'hui encore; bien sûr, on est loin du schéma développé par Orwell, mais on trouve certaines similitudes, et les angoisses qui étaient les siennes peuvent tout à fait encore être les nôtres aujourd'hui. Manipulations des médias, chansons débiles qui s'immiscent dans l'esprit des prolétaires pour les empêcher de penser à autre chose, aux coulisses si sombres du monde qu'ils habitent... La force de ce roman vient donc de ses idées, qui n'ont pas pris la poussière; et même si l'histoire en elle-même peine un peu par moments, on est pris à la gorge, emmenés dans un monde terrifiant qu'on souhaite ne jamais côtoyer dans notre réalité... Toute la dernière partie, où l'un des personnage subit un lavage de cerveau accompagné de séances de torture m'a rappelé Orange mécanique... je vous dirai demain si j'en ai cauchemardé pendant la nuit.

Et comme le dirait Maugrey Fol'Oeil : Vigilance constante !!!

"Tout cela n'avait pas de sens. Ils le savaient tous deux. En réalité, il n'y avait aucun moyen d'évasion. Ils n'avaient même pas l'intention de réaliser le seul plan qui fût praticable, le suicide. S'accrocher jour après jour, semaine après semaine, pour prolonger un présent qui n'avait pas de futur, était un instinct qu'on ne pouvait vaincre, comme on ne peut empêcher les poumons d'aspirer l'air tant qu'il y a de l'air à respirer."

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Commentaires
E
Comme je comprends ! Traumatisant est vraiment le bon mot. C'est dingue d'écrire un aussi grand livre, aussi fort. Marquant. Une réussite, sans conteste.
P
Un des romans, peut-être "LE ROMAN" le plus effrayant et le plus traumatisant qu'il m'ait été donné de lire. Brrr...J'en tremble encore.
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