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N.u.l.l.e.
11 novembre 2009

Un ruban autour d'une bombe

frida Parmi les artistes à la mode, on retrouve incontestablement Frida Kahlo. L'engouement s'est renforcé avec la sortie d'un biopic de Julie Taymor, en 2002, portant le nom sobre de Frida. Et puisque vous êtes perspicaces, vous avez compris qu'il va être question de ce film aujourd'hui.
J'avoue que je ne connaissais pas cette peintre avant de la rencontrer au cinéma; j'ignorais tout de sa vie, de ses tableaux. Et voilà qu'en moins de deux heures, elle m'était devenue importante.

Et même si cela peut paraître terriblement cliché, la nature de Frida se révèle rapidement : elle semble être née pour peindre, aimer, souffrir.
Elle tombe malade à l'âge de six ans, en gardant une malformation de la jambe droite. Attirée par le dessin, elle s'exerce avec son père, photographe, qui l'autorise à retoucher quelques photos avec de la peinture. Mais pour elle, ce n'est pas encore essentiel; elle veut devenir médecin, rejoint une école prestigieuse mais n'en profitera pas longtemps : en 1925, alors qu'elle n'a que dix-huit ans, un épouvantable accident de bus détruit son corps. Jambe pulvérisée, bassin brisé, vertèbres fracturées. C'est à se demander comment elle en survit... Mais elle tient, Frida, et c'est justement pendant cette période qu'elle découvre réellement la peinture. Immobilisée dans son lit, allongée, corsetée, elle puisera de la force dans l'art, elle s'exprimera inlassablement à travers de multiples autoportraits.

A ce stade, on a déjà la douleur et la peinture. Il est temps de parler de Diego Rivera, l'homme de sa vie, ce peintre de vingt et un ans de plus qu'elle, un homme talentueux, reconnu, mais aussi un homme laid, gros, grand, irrésistible aux yeux des femmes. C'est certain qu'il a été amoureux de Frida, oui, sans pour autant lui être fidèle. Même mariés, il continuera à la tromper. Frida, elle, ferme les yeux, par amour. Tant qu'il reste loyal... Puis le contexte aidant certainement, on ne peut pas dire non plus qu'elle ait été d'une fidélité exemplaire...

L'une des plus belles scènes du film est dû à leur rapprochement : Diego commence à déshabiller Frida pour la première fois, et...

scar_1
- I have a scar... 

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- Let me see it.

scar_3
- You're perfect.

Voilà donc les pierres angulaires de leur vie. L'amour. L'art. L'expression (du monde, de soi). La souffrance pour elle, la séduction pour lui, la politique pour eux deux (ils étaient des communistes engagés). Leur quotidien, fatalement hors-normes, est un mélange de tout cela.
Le film est bien plus qu'une petite adaptation d'une vie extraordinaire, c'est une mise en mouvements de tableaux plus torturés les uns que les autres, c'est pratiquement une déclaration d'amour à Frida Kahlo. Je ne vais pas m'étendre sur la perfection physique de Salma Hayek, mais il est clair qu'elle est tellement Frida à l'écran que je n'imagine aucune autre actrice pouvant interpréter un tel rôle. Petite, frêle d'apparence et pourtant tellement tenace, joyeuse, fière, la Frida du film est bouleversante de sincérité, de souffrance, de courage. Les traits de la véritable artiste se fondent dans ceux de l'actrice, au point que la réalisatrice a eu l'idée de reprendre certains tableaux de Frida Kahlo et d'y incorporer le propre visage de Salma Hayek. C'est l'une des grandes réussites de cette biographie, d'ailleurs : parce que Frida Kahlo ne parlait que d'elle dans ce qu'elle peignait, on peut facilement associer ses œuvres à différentes étapes de sa vie. Ainsi, dans le film, la réalité s'unit à l'art, les tableaux prennent vie en tant que témoignage d'épreuves à surmonter. Car dans l'essentiel de son œuvre, Frida Kahlo exorcise ses souffrances, physiques et morales, cette femme ne pouvant réagir qu'avec son cœur, et avec rien d'autre. Sensibilité exacerbée qu'elle extériorise avec un talent et une émotion rares. Ses tableaux ne peuvent pas laisser de marbre; qu'ils bouleversent ou mettent mal à l'aise, ils provoquent inévitablement une réaction de la part du spectateur.

Tout est de toute beauté, dans ce film. Les couleurs festives du Mexique, la musique lancinante qui semble prendre chair, elle aussi (même sans que l'on comprenne ce qui est chanté), la mise en scène imaginative, les acteurs qui virevoltent autour de Frida et Diego (joué par Alfred Molina), ces plans qui, à chaque instant, semblent célébrer la vie... alors qu'elle a été pire que chienne avec Frida.
Toute cette souffrance tellement invivable, comment a-t-elle pu la supporter, pendant plus de quarante ans ? Comment a-t-elle trouvé la force de transcender cette destruction physique pour en faire jaillir la Beauté ? Ce destin d'une cruauté abyssale m'avait ébranlée au cinéma, et ça fait sept ans que je vis avec ce film... que j'y repense... que certaines scènes ressurgissent en moi, certains mots. Certaines douleurs. Et le revoir, récemment, n'a pas amenuisé son effet. Frida me bouleverse. Il y a mille raisons à cela, toutes plus intimes les unes que les autres. Je ne peux pas m'empêcher d'être fascinée par ces gens qui maintiennent leur tête hors de l'eau, qui pétrissent de la boue pour en faire de l'or*, qui parviennent à être heureux là où on serait démolis. Allez expliquer à une fille de dix-huit ans que son corps ne vaut plus rien, qu'elle devra s'habituer à ses cicatrices, à ses douleurs, revenez la voir quand, adulte, elle fera plusieurs fausses couches parce qu'elle a été tellement abîmée lors de l'accident que la maternité lui est impossible... Et regardez-la, encore, toujours, quand son mari demande le divorce, quand elle boit, quand elle devient dépressive et suicidaire ("Je buvais pour noyer mes peines mais les vilaines apprirent à nager"), et qu'elle continue, encore, toujours à peindre... Frida Kahlo aurait eu mille raisons d'être une femme invivable, destructrice pour son entourage, elle aurait pu se morfondre et ne se laisser aucune chance. Mais, je vous l'ai dit, elle était amoureuse, et avant tout : cruellement amoureuse de la vie. Même brisée, elle continuait d'espérer, comme dans ce tableau, où elle se peint après une énième intervention du dos (qui va finalement lui faire atteindre des sommets dans la souffrance) :

kahlo_tree_of_hope

Cet espoir d'aller mieux, de quitter ce corset en acier (à partir de cette opération, en 1946, elle portera 28 corsets différents, son dos ne tenant plus), de rester dans la lumière. Frida Kahlo a une force de vie exemplaire. Son art lui servant de catharsis, elle parviendra à vivre avec le plus d'entrain possible. Elle minimisera d'ailleurs sa souffrance en disant qu'elle a subi deux accidents dans sa vie : le bus et Diego Rivera, ce second étant bien pire que le premier...
Mais ces deux-là sont liés, malgré tout. Ils se marient à nouveau, Diego restant auprès de Frida jusqu'à la fin.

LARMES

Diego - Je viens te demander de m'épouser.
- Je n'ai pas besoin d'aide.
- Moi, si.

- J'ai perdu les orteils d'un pied, j'ai le dos foutu, les reins malades, je fume, je bois, je jure, je ne peux pas avoir d'enfant, je n'ai pas d'argent et plein de notes d'hôpital. Je continue ?
- Une vraie lettre de recommandation
...
- Frida... Je me languis de nous.
- On dit qu'il ne faut pas croire un chien qui boite ou les larmes d'une femme.
- On a tort.

(peut-être)

Au printemps 1953, enfin, une exposition mexicaine met Frida Kahlo à l'honneur; c'est la première fois qu'elle est exposée dans son pays... Mais n'ayant pas le droit de se lever, c'est dans son immense lit à baldaquin que Frida se rendra au vernissage, acclamée par les gens présents.
On pourrait croire, après ça, qu'elle aurait droit à une fin paisible... évidemment pas. Une dernière année de torture l'attend (avec l'amputation de son mollet droit, une pneumonie) et, alors que son dernier tableau crie Viva la vida, son journal intime, lui, se termine sur ses mots : "J'espère que la sortie sera heureuse et j’espère ne jamais revenir". Comme je la comprends.

Le film est une adaptation d'une biographie écrite par une historienne de l'art, Hayden Herrera, elle aussi sobrement intitulée Frida. Le titre de ce billet vient d'André Breton, qui définissait Frida Kahlo par ces mots.
Et pour terminer en beauté, voici un chemin jusqu'à
son site officiel.

* mots empruntés à Baudelaire, il ne m'en voudra pas

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Commentaires
E
* Lilly, je trouve aussi que la réappropriation des oeuvres véritables de Frida Kahlo est particulièrement réussie, mêler aussi bien l'oeuvre et la vie de l'artiste, ça m'a beaucoup plu. Je suis ravie que tu aies apprécié cette découverte ! Puis tu as eu une bonne influence sur ta soeur en lui conseillant ce film, c'est merveilleux :-)
L
J'ai enfin regardé le film. J'ai beaucoup aimé moi aussi, même si ça n'a pas été un coup de foudre complet. L'oeuvre de l'artiste est vraiment très bien utilisée, Salma Hayek est bouleversante, et certaines scènes sont parfaites. J'adore la fin notamment, et les scènes que tu as très bien retranscrites. <br /> Ma soeur qui peint beaucoup l'a vu la semaine dernière sur mes conseils, et elle a été ravie de découvrir ce film.
E
* Lilly, oh que je suis contente d'avoir réussi de te tenter ! Je pense que ça pourrait réellement te plaire. <br /> Quand à Salma Hayek, c'est tout simplement une injustice mondiale. Rien de moins.
L
Ton billet est magnifique ! J'ai très envie de lire le livre, voir le film et de découvrir l'artiste maintenant ! <br /> Sinon, comment Salma Hayek peut-elle être aussi belle même quand elle pleure ?
E
* Hambre, c'était avec grand plaisir ! Bonne idée de le louer, au pire tu ne perdras qu'une soirée et deux-trois euros... mais j'espère quand même que ça te plaira !
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