Une carte postale de Manderley
Rebecca
de Daphné du Maurier (1938)
traduit de l'anglais par Denise Van Moppès
Je venais de terminer mes lectures obligatoires pour la Fnac (j'en reparlerai bientôt), je partais en vacances. Il me fallait quelque chose de bon (pour oublier la sélection Fnac - oui, je suis méchante, un peu à tort, et alors ?), de divertissant, de pas trop triste, et d'efficace. Oui, je suis exigeante. Cela faisait des mois que je me gardais de côté ce roman, et il était temps de m'en offrir la lecture. Je dois à Rebecca les meilleurs moments de ma première semaine de vacances (fille indigne que je suis !).
Quand on est une jeune fille pauvre, un peu maladroite, une jeune fille dont le cœur n'attend que de connaître la passion, il est difficile de rester de marbre face à Maxim de Winter, un homme riche et veuf depuis peu. Sa femme - Rebecca - est morte noyée, près de leur immense propriété, Manderley. Il n'est plus le même depuis cette perte si brutale. Pourtant, il épouse la narratrice (qui est la jeune fille pauvre du début - il faut suivre ! - son absence de prénom n'est pas une raison pour se laisser distraire) et quand ils rentrent, ensemble, à Manderley, la nouvelle Madame de Winter va découvrir un lieu où le souvenir de Rebecca suinte à travers les pierres, un lieu où il n'y a pas de place pour elle. Car, comment rivaliser devant la défunte beauté ? "J'aurais pu lutter contre une vivante, non contre une morte", dit la narratrice...
Toute l'intrigue se noue autour de la jeune femme, puisque ce n'est qu'à travers ses yeux que nous avons accès aux différents événements. Il ne nous est pas permis de penser autrement qu'elle, et pourtant, si elle se trompait ? Au début naïve, ensuite éprise d'amour pour cet homme taciturne plus âgé qu'elle, puis perdue dans ce Manderley où elle ne peut qu'agir comme une personne en trop, un parasite, elle va devoir avancer au quotidien, sentant peser autour d'elle de lourds secrets. Car, bien qu'elle soit partout, il est presque tabou de parler de Rebecca. Omniprésente, la défunte trouve sa plus grande alliée en la personne de Mrs Danvers, la gouvernante de la maison, qui ne peut se résoudre à la perte de sa maîtresse... si belle, si jeune, si intelligente. Comment est-ce possible ? Et Maxim, lui aussi, semble bien loin de sa nouvelle femme...
L'ambiance est pesante sans être suffocante - je veux dire par là que je m'attendais à quelque chose de beaucoup plus noir, de plus angoissant. Ne comprenez pas non plus que c'est une fade bleuette, au contraire. Un véritable suspense s'installe au fil des pages, qui sont imprégnées d'un seul nom : Rebecca. A tel point qu'on ignorera jusqu'au bout le seul prénom de la narratrice, comme si elle n'était qu'un intermédiaire pour aller à l'essentiel, c'est-à-dire jusqu'à la disparue. Il est difficile de s'éloigner du roman une fois qu'on l'a ouvert, tant la page suivante paraît contenir des détails passionnants... L'écriture est légère (elle n'est pas alourdie par des tournures trop précieuses, ou obsolètes), délicate, captivante. Quant à l'intrigue, ah ! J'en ai déjà beaucoup dit, je tairai le reste. Mais c'est un grand roman, habilement mené, subtil.
"Je frissonnai involontairement comme si quelqu'un eût ouvert une porte derrière moi et laissé entrer un filet d'air froid dans la pièce. J'étais assise dans le fauteuil de Rebecca. Je m'appuyai au coussin de Rebecca et le chien était venu poser sa tête sur mes genoux parce que c'était son habitude et qu'il se rappelait la main qui autrefois lui donnait du sucre..."
Ensuite, comme toute personne consciencieuse, j'ai regardé l'adaptation hitchcockienne du roman. Elle date de 1940 et l'affiche dit mieux que moi les noms des acteurs principaux. J'attendais beaucoup du film, déjà parce qu'on est en droit d'en attendre beaucoup d'Hitchcock, et ensuite parce que le roman m'avait beaucoup plu. Sans comprendre réellement pourquoi, j'ai été déçue. Film trop long, trop fidèle (même s'ils ont édulcoré un point de l'intrigue pour ne pas "salir" l'un des personnages). C'est absurde de critiquer la fidélité au roman, car on s'insurge aussi quand le réalisateur prend trop de libertés... alors, quoi ? Je ne sais pas. La musique, les gros plans sur les yeux effrayés de la nouvelle épouse, cela m'a semblé trop mélodramatique et un peu poussiéreux. Mrs Danvers, aussi, qui est un excellent personnage dans le roman, m'a déçue au premier abord... je me rends compte désormais qu'elle est tout simplement plus hitchcockienne que danversienne. On a vu pire défaut... Même si j'ai la dent dure, ça reste une très bonne adaptation mais, à mes yeux, en-dessous du roman.