« Se rapprocher des vérités de la main »
Il est toujours un peu périlleux d'écrire quelques mots sur un livre, mais je trouve que ça empire dès que je tente d'évoquer un classique ou Henry Bauchau - ce qui devient très drôle quand on sait que mes dernières lectures alternaient classiques et livres d'Henry Bauchau. Je traîne parce que je ne trouve pas les mots; tant pis, je ferai avec ceux qui se présentent.
L'atelier spirituel d'Henry Bauchau
Actes Sud, 2008
avec une merveilleuse préface de Myriam Watthee-Delmotte (la spécialiste de l'écrivain)
« Né, élevé, instruit dans un milieu et une culture uniquement du "verbal", je peins pour me déconditionner. » (Henri Michaux)
Cette citation peut aussi définir le parcours artistique d'Henry Bauchau. L'homme s'est longtemps (toujours ?) considéré comme un "écrivain du dimanche", parce qu'il a toujours eu des obligations professionnelles à respecter (brièvement, il a été directeur d'école en Suisse, puis psychanalyste à Paris). Les instants qu'il consacre à la peinture et au dessin interviennent donc à un troisième degré. Henry Bauchau n'a jamais eu la prétention de devenir un artiste, ressentant plutôt le besoin de s'exprimer autrement qu'avec les mots. C'est ainsi qu'il pratiqua le dessin (pastel, feutre, encre...) et la peinture de 1962 à 1975, période pendant laquelle il dirigeait son école internationale à Gstaad.
S'il a arrêté de s'adonner aux arts, c'est essentiellement dû à un ami, qui souhaitait le voir se consacrer à l'écriture. Puis, le manque de temps s'est fait sentir : de retour à Paris, Henry Bauchau a dû déjà jongler pour travailler, écrire et vivre.
Une étrange consolation survint : travaillant avec de jeunes psychotiques, il en a accompagné quelques-uns dans l'atelier d'un sculpteur, où il a lui-même suivi des cours pendant trois ans. Sorte de prolongement artistique, avec des patients incapables de s'exprimer avec la parole (c'est un épisode en partie raconté dans L'enfant bleu, qui était tellement magnifique que je n'ai pas encore osé vous en parler).
Henry Bauchau compense sa "retraite artistique" en intégrant les arts dans son œuvre littéraire : la création artistique apparaît toujours au détour d'un poème, d'une nouvelle, d'un roman (les exemples les plus flagrants étant sans doute Œdipe sur la route et L'enfant bleu).
L'atelier spirituel permet de poser un nouveau regard sur l'oeuvre d'Henry Bauchau. Son art plastique est ici dévoilé pour la première fois; ses dessins trouvent écho dans des extraits de ses textes (poèmes, romans, pièces de théâtre...) et même dans les mots des autres (on trouve notamment des citations de Pierre Jean Jouve et Chrétien de Troyes).
L'intérêt vient donc de ce dialogue mots-image, Henry Bauchau modifiant parfois les titres de ses dessins pour qu'ils complètent minutieusement les extraits littéraires.
Certains de ses dessins paraissent désarmants de simplicité, voire de naïveté; les formes géométriques se multiplient, cela ressemble parfois aux dessins qu'on a tous fait un jour en cours, parce que le professeur ne nous intéressait pas. Et d'autres, au contraire, sont troublants de force, ils étonnent, ils touchent. La relation tissée entre les mots et les images renforce finalement les deux "camps". Lire un poème et regarder ensuite le dessin choisi pour illustrer la page de droite enrichit l'un et l'autre, apporte une nouvelle profondeur à l'ensemble.
Ce "recueil" au titre si évocateur mérite d'être parcouru par toute personne sensible à l'univers d'Henry Bauchau... la préface détaille intelligemment le parcours de l'artiste-écrivain, en expliquant son cheminement et ses techniques; c'était la première fois que je lisais des renseignements sur Henry Bauchau artiste, et cet éclairage est passionnant.
(le billet est illustré avec deux dessins que j'aime particulièrement - si vous cliquez dessus, la magie voudra que les dessins s'agrandissent. Le premier s'appelle Le château de l'âme, le second Une sainte femme)
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Je termine avec un poème d'Henry Bauchau, et le dessin s'y rapportant :
La deuxième arche
La première arche, merveilleusement hardie, heureuse, immatérielle,
Du pont dont la beauté future est encore perdue dans la brume
Car la forme accomplie, le songe inapaisé du vrai
La deuxième arche à la courbe pensive
Doit demeurer, mon âge, imaginaire.
C’est seul, et sans savoir comment, qu’il faudra faire
la traversée des eaux
Jusqu’à la rive qui peut-être n’existe pas
C’est le cœur, le cœur chevalier
Le cœur en lumière épuisée
Qui va par la route incertaine
Par amour d’amour incertain.
La Fée Carabine en a très joliment parlé ici