« Interdit aux adultes non accompagnés d'enfants »
Aujourd'hui est un grand jour !
Ne me dites pas que vous n'avez pas remarqué...
Je sens les plus pragmatiques d'entre vous qui regardent leur calendrier - oui, on est jeudi, c'est un bon premier pas.
Maintenant, regardez la date. Nous sommes... le 35 mai !!!
Le 35 mai
d'Erick Kästner (1931)
traduction de Michèle Kahn
Edition Hachette, 1970
C'est avec une grande émotion que j'écris le billet du jour car voyez-vous, Le 35 mai était de un de mes romans préférés quand j'étais enfant. Il m'a fallu des années avant de comprendre que le 35 mai était une date inventée (voyez comme j'étais large d'esprit, j'acceptais n'importe quel fait, aussi loufoque soit-il). Mais laissons là les désillusions des adultes, et plongeons-nous dans la magie de ce roman !
Une fois n'est pas coutume, j'aime tellement la quatrième de couverture que c'est elle qui va présenter l'histoire à ma place :
« Si votre oncle est formidable, si vous rencontrez un cheval au chômage qui vous demande poliment du sucre... entrez sans hésiter dans la vieille armoire : c'est la porte du bout du monde ! Là-bas, les arbres distribuent des tartes, les poules pondent des œufs au jambon. Au pays du Monde renversé, on élève sévèrement les parents insupportables...
Seulement, tout cela n'est possible que si le 35 mai tombe un jeudi ! »
Ça ne vous donne pas envie, honnêtement ?
Le petit Konrad passe tous les jeudis après-midi avec son oncle Ringelhuth, et cette fois, il est un petit peu tracassé : parce qu'il est très fort en calcul, le maître lui a demandé d'écrire une rédaction sur les mers du sud, afin de faire travailler un peu son imagination. Il vit cela comme une punition, mais le cheval Negro Caballo (qui a ce fascinant pouvoir de parole) veut l'aider à sa manière : si les trois aventuriers rentrent dans l'immense armoire qui se trouve dans le couloir de l'immeuble, ils traverseront quelques mondes... et parviendront jusqu'aux mers du sud, ce qui devrait aider considérablement le petit Konrad pour sa rédaction.
Le temps d'une après-midi, ils vont vivre des aventures extraordinaires, traversant des mondes tous plus burlesques les uns que les autres : le fameux Pays de Cocagne (si, il existe), le Château du lointain passé (où ils rencontreront aussi bien Napoléon que Jules César), le Monde renversé (où les parents retournent à l'école pour (ré)apprendre à éduquer correctement leurs enfants), ou encore Electropolis, la ville automatique (effrayante - tout n'est que buildings et machines automatiques; d'ailleurs, il y est question de tapis roulant et de téléphone portable, ce qui m'a considérablement étonnée), et d'autres contrées encore que je vous laisse découvrir par vous-mêmes. Car si, il faut lire ce roman, qui reste un petit joyau même pour les adultes.
Au début, une légère inquiétude m'a envahie : j'ai eu peur de ne pas reconnaître la lecture que j'avais faite enfant, mais finalement, tout a fonctionné à nouveau. Les différentes aventures ne permettent pas au lecteur de s'ennuyer et il y a des passages qui ont vraiment de quoi émerveiller un enfant. L'ensemble ne manque pas de piquant et d'humour, grâce aux trois personnages aux profils attachants : l'oncle est à classer parmi les adultes gentils; il est prêt à suivre son neveu où qu'il aille, sans lui faire de reproches inutiles. Il faut dire aussi que Konrad est un enfant facile à vivre, ébahi par les rencontres qu'il fait (car figurez-vous qu'il va croiser certaines personnes qu'il connaît dans la vie réelle, ce qui ne le perturbe pas tellement), c'est un enfant curieux et bien élevé (sans être niais. Je tiens à le préciser). Le troisième personnage principal est bien évidemment le cheval, qui acquiert très rapidement deux paires de patins à roulettes, ce qui lui facilite considérablement leurs déplacements dans les différents mondes qu'ils découvrent. Ce cheval, au chômage depuis qu'un cirque l'a congédié, a deux particularités : il parle (cela, je vous l'ai déjà dit) et il est d'une gourmandise insatiable. On peut dire qu'il aura goûté à tout ce qui était comestible sur son passage...
Le lecteur voyage littéralement avec le trio; et même là où la vie semble meilleure que dans notre monde actuel, des failles se dessinent jusqu'à exploser - ainsi, dans Electropolis :
« Se retournant, ils aperçurent les ascenseurs qui crevaient les toits des maisons. Les gratte-ciel d'aluminium produisaient, en oscillant, un bruit semblable à celui de la guerre.
L'oncle Ringelhuth tapota le cou du cheval et s'épongea le front en constatant d'un air triste :
- Le paradis s'est évanoui.
Konrad passa affectueusement son bras autour de celui de son oncle.
- Ne t'en fais pas, lui dit-il. Nous en construirons un autre quand je serai grand. »
Adorable.
Parce que c'est vous, je vous livre un petit secret : le livre se termine sur la rédaction que Konrad écrit finalement. C'est si drôle, si bien vu (il passe du coq à l'âne sans aucune transition, comme le ferait effectivement un enfant qui aurait mille choses à dire en même temps) que ces quelques délicieuses pages méritent à elles seules l'achat de ce roman. Quand on sait en plus que toutes les pages qui précèdent cette fameuse rédaction sont tout aussi charmantes, il n'y a plus aucune raison de bouder son plaisir.
Le 35 mai fait du bien; et je suis contente d'avoir lu ce roman en étant enfant... parce que s'il y a bien une "leçon" qui en découle, c'est qu'on peut s'offrir les plus merveilleux voyages avec un zeste d'imagination.
Erich Kästner (1899-1974) est paraît-il plus connu pour son roman jeunesse Emile et les détectives; il a aussi écrit pour les adultes, mais il me semble qu'il a été peu traduit en français, ce qui est sans doute dommage.