Guérir parfois - soulager souvent - écouter toujours
Nous devons ce merveilleux titre à Louis Pasteur, idéaliste.
La chambre d'Albert Camus
de William Réjault (2006)
J'ai lu, 2008
Je ne sais pas vous, mais j'ai toujours su qu'il y avait des métiers que je serais incapable d'exercer. Ceux qui rejoignent le milieu médical, par exemple, me laissent pantoise d'étonnement et d'admiration. De crainte, aussi, sans doute.
Je ne comprends pas comment on peut côtoyer la maladie, la dégradation humaine, la mort, et continuer à vivre à côté. Ça me dépasse. Moi, je ne peux déjà pas me rendre dans une maternité sans avoir le ventre triplement noué, alors nettoyer les escarres de Madame Patachon et assister à l'opération d'un enfant gravement malade, ça relève à mes yeux de l'héroïsme.
William Réjault a d'abord publié son recueil de nouvelles sous son pseudonyme du net, à savoir Ron. Il tenait un blog sur son quotidien d'infirmier, et comme cela arrive parfois, il avait suffisamment de succès pour attirer le regard d'un éditeur.
C'est délicat de publier le contenu d'un blog, parce que le passage de l'écran au papier peut faire perdre beaucoup de force aux textes. On n'a pas les mêmes attentes, les mêmes exigences, quand on lit un blog amateur et un ouvrage qui a dû convaincre un comité de lecture. Par chance, je ne lisais pas Ron l'infirmier; j'en avais entendu parler, mais cela s'arrêtait là. Puis il y a eu comme un buzz autour de la sortie de son recueil, les lecteurs l'ont lu, et aimé.
Si j'ai acheté La chambre d'Albert Camus il y a quelques temps, c'était pour l'offrir à quelqu'un; puis je me suis dit que c'était l'occasion d'y jeter un œil. Mal m'en a pris : je n'ai plus du tout envie de l'offrir, mais plutôt de le garder.
Les nouvelles sont courtes, d'ailleurs, ce ne sont pas à proprement parler des nouvelles, mais plutôt des instants de vie. Des scènes d'hôpital, mais pas que, parce que Ron a été infirmier libéral, il a aussi travaillé en maison de repos, et dans de grosses entreprises. Un éventail assez large d'expériences, dont certaines des plus marquantes se retrouvent compilées ici.
Il y a plus ou moins deux éléments qui sont mis en valeur dans ce recueil (ou du moins, dans ma lecture du recueil, parce que d'autres peuvent s'attacher à d'autres détails) : l'humour et l'énergie de Ron, tout d'abord. Il est indéniable qu'il faut un sacré cran pour travailler dans le médical (qu'on soit chirurgien, infirmier, sage-femme ou aide-soignant, etc), mais il faut aussi faire preuve d'un grand recul, et ne pas trop s'impliquer auprès d'un patient. A ce niveau-là, je trouve que l'humour de Ron devient à la fois une barrière essentielle, mais aussi un moyen de dédramatiser la situation, à la fois pour lui et pour le patient (qui préfèrera toujours un trait d'humour, même un peu poussé, qu'un air catastrophé ou résigné).
L'autre grand point qui m'a choquée, c'est la manière dont sont traités les gens. Je parle des patients, encore que le personnel n'exerce pas toujours dans des conditions idylliques (c'est le moins qu'on puisse dire). Il y a certaines nouvelles où les patients sont traités comme de la merde, comme des objets sans ressentis, allons-y, on arrache un ongle (sans anesthésie ni rien) à celle qui a mal, un médecin tabasse une "folle" mais il est excusé, voyons, il est en plein divorce, on laisse les vieilles personnes dans leur pisse parce qu'il ne faudrait pas dépasser le quota de couches prévu, on ferme les yeux sur la misère, la détresse, on se concentre sur le mal sans soigner le reste. Les dilemmes sont quotidiens. Il faut jongler entre la loi, la douleur des patients, le code de déontologie, la sérénité de son propre esprit. Peut-on ignorer la patiente, victime d'une attaque cérébrale, qui ne peut plus bouger qu'un œil, et qui supplie chaque jour qu'on la tue ? Est-ce qu'on ignore le patient dépressif, qui ne se rend pas au rendez-vous prescrit, sous prétexte qu'il faudrait avertir le directeur et que ce dernier est trop occupé par les fêtes de Noël, et que le malade peut bien attendre deux jours, non ? (non)
Je sais que je ne suis pas drôle et que je ne me concentre que sur les anecdotes graves, mais c'est parce qu'elles ne sont malheureusement pas rares dans le milieu. Je connais une infirmière qui m'a raconté des horreurs sur ses conditions de travail, ou sur le comportement de certains médecins. Le genre d'histoires qui font frémir, qui font espérer, surtout, qu'on ne tombera jamais malade.
La chambre d'Albert Camus est un recueil qui se dévore; c'est parfois écrit comme un blog (attention, ceci n'est pas un compliment), mais on passe outre cette petite faiblesse, parce qu'il y a toujours une phrase un peu plus loin qui rattrape le reste, et parce que les histoires me semblent plus importantes, ici, que la manière dont elles sont racontées. Une lecture que je qualifierais presque d'indispensable. Ça fait du bien et ça fait très peur en même temps, drôle d'aventure, à ne pas manquer. Histoire d'ouvrir les yeux, pendant 240 pages.
Laure, Tamara, Florinette, Cathulu, Amanda, Daniel Fattore l'ont lu et aimé sans réserve.
Cuné, as-tu encore une fois supprimé ton billet...? Coquine !