Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
N.u.l.l.e.
26 octobre 2009

Meine Ehre heisst Treue

traduction : Mon honneur, c'est la fidélité

La mort est mon métier
Robert Merle
Gallimard, 1952; (Folio, 1972)
370 pages

http://www.looneo.fr/images/Produits/Livres%20-%20Romans%20et%20litterature/La%20Mort%20est%20mon%20metier/La_Mort_est_mon_metier_217065_Principale_ML.jpg

Quand on commence à réfléchir sur les camps de concentration, on en vient à se demander qui étaient ces hommes qui ont mis en place ces machines meurtrières, on se demande comment ils ont pu consciemment participer à un tel massacre. En un sens, La mort est mon métier répond à ces interrogations, et à bien d'autres, en dressant le portrait du commandant du camp d'Auschwitz. En réalité, il s'appelait Rudolf Hoess. A lui seul, il est responsable de la mort de près d'un million d'hommes.
Ici, Robert Merle modifie son nom : le narrateur s'appelle Rudolf Lang. La première partie du roman est plus ou moins une réécriture de la véritable enfance de Hoess. On découvre la vie sinistre du petit Rudolf (13 ans au début du roman), qui doit se plier aux exigences de son père, un homme d'une dureté sans nom. Ce dernier veut que son unique fils soit prêtre; mais Rudolf, lui, rêve déjà d'armée. A tel point qu'il s'engage avant d'avoir l'âge autorisé. Il a à peine 15 ans et il fait déjà preuve d'une inhumanité absolue lors de certains combats.
Après la Première Guerre Mondiale, devenu rebut de la famille (on le serait à moins), il adhère au parti nazi, est obligé de se marier (il faut perpétuer la race allemande, la vraie, la pure) et accepte des tâches qu'il exécute sans plaisir, et sans déplaisir, se contentant simplement d'obéir.
On sait comment cela continue : Hitler arrive au pouvoir. Il faut se débarrasser de tous ceux qui gênent, encombrent :

« Le Parti est en train de mettre au point, dans différentes parties de l'Allemagne, des camps de concentration qui ont pour but de régénérer les criminels par le travail. Dans les camps, nous serons également contraints d'enfermer les ennemis de l'État national-socialiste, afin de les protéger contre l'indignation de leurs concitoyens. Là aussi, le but sera, avant tout, éducatif. Il s'agit, par la vertu d'une vie simple, active, disciplinée, d'éduquer et de redresser des esprits. »

Bien sûr.
Voilà le discours plus ou moins officiel. En réalité, on sait comment ça se passait... Rudolf Lang a très vite été chargé de mettre au point un système d'extermination à grande échelle. Jusque-là, dans les petits camps disséminés sur le territoire, on tuait les Juifs avec une inhalation de gaz d'échappement... mais c'est trop long, trop compliqué, pas assez rentable. Là encore, on connaît désormais la vérité : les douches factices, le Zyklon B... Tout cela, on le doit à Rudolf Hoess. Pendant des mois, il a réfléchi à cette stratégie sans jamais ressentir le moindre problème de conscience : il a un ordre, il l'exécute. Ce n'est qu'un employé, qui n'a pas à se demander si ses actions sont bonnes ou mauvaises. S'il refuse, de toute façon, il mourra. Et quelqu'un d'autre prendra son relai.
Tout cela prend des proportions phénoménales dans ce récit, à en devenir insoutenable par la simple lecture. Tout est si froid, si lointain, si vomitif. Quand il part visiter d'autres camps pour se familiariser avec leur système d'extermination, Rudolf regarde l'agonie des Juifs sans même sourciller. C'est un esprit calculateur dénué d'âme.
Sa femme, évidemment, ignore tout de ce qui se passe à Auschwitz. Personne ne doit savoir où les prisonniers disparaissent. Personne ne doit comprendre les rouages de cette folie meurtrière. Il y a bien l'odeur, mais... mais officiellement, c'est une tannerie qui est à l'origine de cet air asphyxié.
Le seul officier à avoir un problème de conscience se suicidera le soir de Noël, incapable d'en supporter plus. Le poids de la culpabilité et de la folie pesait trop.

La mort est mon métier est un amalgame de fiction (encore que les grands faits sont respectés) et de biographie, basée à la fois sur des entretiens (menés par un psychologue américain) que Hoess a suivis lors de son incarcération après la guerre, et sur la confession toute personnelle que Hoess a écrite, pendant cette même incarcération, lors du procès de Nuremberg.
Je ne sais pas qui peut avoir le courage de lire cette autobiographie, mais personnellement le roman m'a largement suffit. Bien que le récit soit pris en charge à la première personne, il y a une distance terrible entre le narrateur et le lecteur, notamment parce que ses choix, ses pensées, nous sont incompréhensibles (et quelque part : heureusement). Robert Merle nous montre Rudolf comme un être totalement déshumanisé, et quand on voit les faits réellement attribués à Hoess, on voit que l'auteur n'a strictement rien exagéré. On nous présente le portrait d'un bourreau; de fait, le récit est à la fois effrayant et incroyable. J'ai eu du mal à concevoir que de tels hommes ont pu exister et je ne parviens toujours pas à comprendre comment on a pu en arriver à une telle extrémité de barbarie.
Mais La mort est mon métier reste un document très intéressant, une lumière de plus sur un sujet difficile et ô combien délicat à traiter. Robert Merle a très bien su rendre l'indifférence et l'austérité de son personnage, qui, jusqu'à son procès, ne ressentira pas la moindre culpabilité : il n'a fait qu'exécuter des ordres.
Rudolf Hoess a été pendu le 7 avril 1947, à Auschwitz, près du crématorium qu'il avait lui-même conçu.

Je termine avec quelques mots de Robert Merle : « Tout ce que Rudolf fit, il le fit non par méchanceté, mais au nom de l'impératif catégorique, par fidélité au chef, par soumission à l'ordre, par respect pour l'État. Bref, en homme de devoir : et c'est en cela justement qu'il est monstrueux. »

...

coffre_tr_C3_A9sors3Figurez-vous que ce roman fait partie des trésors de TVless, et que c'est donc grâce à elle que j'ai enfin exhumé ce roman de ma bibliothèque. Merci d'avoir contribué à cette terrible découverte !
D'autres l'ont lu : Daniel Fattore nous présente sa lecture
via trois billets (et son rapprochement avec Les bienveillantes a su piquer ma curiosité), Reno arrive presque à comprendre Lang...   

Publicité
Commentaires
E
* Leana, merci pour ce complément d'informations. Chiffonnette et moi ne sous-entendons absolument pas que ce livre-là écarte d'autres fondamentaux, il n'empêche qu'il est rare d'avoir un document (autobiographique ou non, romancé ou non) où c'est le bourreau qui prend la parole, du début à la fin. <br /> Ceci dit, je regarderai scrupuleusement la bibliographie que tu joins.
L
Bonjour. Je ne suis pas de l'avis de Chiffonnette. Si, à sa sortie, le livre de R. Merle était particulièrement bien documenté, il ne peut pour autant pas être qualifié de "fondamental".<br /> Sur la période, le seraient davantage J. Améry, P. Lévi, R. Antelme ou C. Delbo me semble-t-il.<br /> Ces ouvrages (et des tas d'autres) sont commentés ici : http://sonderkommando.info/mediagraphie/livres/index.html )
E
* Chiffonnette, comme tu dis, sur le thème je crois qu'il fait partie des incontournables. Je le découvre tard, mais je suis une lectrice lente... :-)
C
J'avais lu ce roman adolescente et je l'ai gardé. C'est un fondamental je pense!
E
* Fantômette, ce sont les autres, hein, moi je ne suis dans aucun trip, je ne suis pas responsable, je suis innocente. J'écume juste des livres restés trop longtemps dans un recoin de ma bibliothèque, traitement injuste.<br /> <br /> * Fashion, vilaine, moi ? Nom d'un loup-garou, j'achève le tome 2 sans avoir la suite en ma possession, je commence à avoir des palpitations, je vais harceler une collègue demain pour que sa fille me prête ses livres ;-))<br /> <br /> * Daniel F., ce fut avec grand plaisir. Et comme vous, il faudra que je continue d'explorer cet auteur !<br /> <br /> * Karine, oui, c'est abominable. Avoir fait ça consciemment, et sans percuter que c'est la pire des barbaries. <br /> <br /> * Auguri, bienvenue, et merci pour ces doux compliments ! Je viendrai te rendre visite dès que possible.<br /> <br /> * Levraoueg, ouaip, c'est vrai que j'ai eu ma période 2nde guerre mondiale aussi, mais en terminale, parce que c'était au programme. Qu'est-ce que j'ai aimé Semprun, d'ailleurs...<br /> (mon blog-it ? il me plaisait bien. Dans la vie, tout est question de tempérance, non ?)<br /> <br /> * Theoma, bon, je t'ai répondu chez toi ! Ton idée est excellente et elle a visiblement beaucoup de succès, tant mieux ! :-)
Derniers commentaires
Publicité
Publicité